L’affaire Léon Sadorski, de Romain Slocombe

Publié le par Yan

En 2009, Laurent Joly publiait Berlin, 1942, édition critique d’un rapport écrit par Louis Sadosky, brigadier-chef des Renseignements Généraux. Tout l’intérêt de ce témoignage d’un policier emprisonné quelques temps en Allemagne après avoir été soupçonné par la Gestapo d’avoir participé à un réseau d’espionnage réside dans le fait que Sadosky ne comprend pas ce qui lui arrive. Policier zélé au service de l’occupant, Sadosky conte par le menu sa détention, les interrogatoires auxquels il est soumis, et se justifie d’être un bon fonctionnaire, attaché à faire du chiffre et à satisfaire ses supérieurs et les Allemands.

De ce document particulièrement riche, qu’il a complété par de multiples recherches et lectures sur le contexte historique, Romain Slocombe tire un roman noir historique de haute volée, passionnant et dérangeant.

Double de fiction de Louis Sadosky, Léon Sadorski est donc un inspecteur zélé, spécialisé dans la traque des juifs et des communistes. Sadorski est persuadé de l’existence du grand péril judéo-bolchévique et aime satisfaire sa hiérarchie. Il n’a donc aucune objection à traquer ou même à dénoncer sans preuves ces concitoyens – tout en se servant au passage lors des perquisitions ou en touchant des pots-de-vin. C’est donc peu dire que son arrestation par la Gestapo et son transfert à Berlin le surprennent. Il en reviendra, bien entendu, blanchi, mais pour mieux s’enfoncer dès son retour, alors qu’il enquête sur le meurtre d’une jeune femme, dans les arcanes du Paris collaborationniste.

Romain Slocombe a su voir dans Sadosky tout son potentiel de salaud de fiction et, surtout, a su lui donner une chair incomparable à travers ce Léon Sadorski. Sadorski, c’est l’incarnation de la banalité du mal. Fonctionnaire moyen sans grande envergure qui se laisse porter par l’air du temps et essaye d’en tirer le maximum de profit, il n’a rien du méchant ultime et aura même l’occasion de croiser bien pire que lui en la matière. Il n’en est pas moins écœurant et dérangeant, justement à cause de cette banalité, de sa manière de suivre le courant, de chercher l’approbation de ses maîtres, de profiter de son autorité pour soumettre ceux qu’il est en mesure de dominer à son tour.

Si Slocombe choisit pour son récit la troisième personne qui lui permet sans doute de mettre un peu de distance avec le personnage, il ne s’en fait pas moins le scripteur de ses pensées et propose ainsi au lecteur une inconfortable plongée dans l’esprit de cet opportuniste sans beaucoup d’états d’âmes. Il dévoile par ailleurs les tensions et jeux de pouvoirs entre police, occupant et grand banditisme reconverti dans la collaboration active, rue Lauriston ou boulevard Flandrin et, d’une manière générale, donne une chair incomparable à cette époque en y faisant se croiser personnages réels et de fiction. C’est incontestablement un des meilleurs romans noirs historiques de ces dernières années.

Romain Slocombe, L’affaire Léon Sadorski, Robert Laffont, 2016. Rééd. Points Policier, 2017. 476 p.

À lire aussi, Laurent Joly, Berlin, 1942, CNRS éditions, 2009. Rééd. CNRS éditions, coll. Biblis, 2014. 275 p.

  

Publié dans Noir français

Commenter cet article

J
Bonsoir Yan,<br /> <br /> J'ai lu ta chronique en diagonale mais attentivement car c'est l'une de mes prochaines lectures. Il est toujours agréable de lire un avis positif même si dans tous les cas, je me serais fait ma propre opinion. Amitiés. Jean.
Répondre