Révolution, de Sébastien Gendron

Publié le par Yan

Suite à un quiproquo fatal, Georges Berchanko, informaticien de formation et intérimaire pour la société Vadim Intérim se retrouve avec deux cadavres sur les bras, une Jeep, une liasse de billets de 500 euros et un flingue.

Elle aussi employée par Vadim Intérim, Pandora Guaperal, envoyée sur le chantier d’une mosquée pour abattre un calvaire, manque de se faire lyncher par une foule de ploucs particulièrement remontés.

En cette toute fin du mois de juillet, les deux intérimaires vont finir par se retrouver dans le bar où, chacun de leur côté, ils sont venus tenter d’oublier un moment leurs déboires du jour. De cette rencontre vont naître une histoire d’amour et un projet révolutionnaire. Conscients que bien trop de choses clochent dans ce monde, Pandora et Georges décident de pousser le peuple à se révolter. Comptant sur leur capacité à convaincre un public captif et peut-être aussi un peu sur une forme de syndrome de Stockholm, ils décident d’interrompre le chassé-croisé des juillettistes et aoûtiens. Campée au milieu d’un viaduc autoroutier avec une orthèse maintenant son bras armé contre sa tempe, Pandora menace de se faire sauter le caisson si les Français moyens coincés dans les dizaines de kilomètres d’embouteillages ainsi provoqués ne se décident pas à faire la révolution.

Le projet de Pandora et Georges est certainement un peu ambitieux, il faut bien l’avouer, mais a pour lui de tenter d’une manière inédite de réveiller les masses :

« […] Toi comme moi, on s’est juste rendu compte qu’on risquait quotidiennement nos vies pour l’équivalent d’une formule sandwich-boisson-dessert de chez Paul. Et des gens comme nous, y en a plein partout. Des gens à qui il manque juste une toute petite étincelle pour qu’ils s’enflamment d’un coup. C’est ça qu’ils ont pas compris, les autres crétins de Nuit Debout. Les énervés, ils en voulaient pas. Tout ce qui les intéressait, c’était des discours construits qui prennent un minimum de temps en usant d’un maximum de dialectique. Voilà à quoi elle est formée la nouvelle génération : MT 180 !

-MT quoi ?

-« Ma thèse en 180 secondes ». Tu bosses pendant cinq ans sur un sujet hyper pointu, tu t’arraches les cheveux et au final, tout le monde en a tellement rien à branles qu’on te demande de résumer tes mille pages en trois minutes chrono. Et ça devient un spectacle qui remporte des millions de clics sur Internet. Eh ben Nuit Debout, c’était le même principe. T’as des tas de choses à dire pour faire avancer le monde, seulement t’es gentil mais y a des gens derrière qui attendent. Alors tu résumes, sinon on te fait des chifoumis pour que tu gicles. […] Non, là où tu peux faire bouger les gens, c’est en attaquant ce qu’ils ont de plus cher. »

On imagine sans peine que l’action révolutionnaire des deux intérimaires quadragénaires ne va pas faire l’unanimité et Sébastien Gendron prend un réel plaisir à nous décrire l’échantillon d’humanité que leur happening va toucher de manière plus ou moins directe. On voit ainsi se dessiner une belle galerie de portraits de crétins, de misogynes, de résignés, de personnes prêtent à basculer, de profiteurs, de commerçants bien décidés à faire arriver à destination les vaches à lait coincées sur l’asphalte, de flics désorientés… et Gendron s’attache à leur donner la parole et de la chair avec humour et souvent une ironie salutaire.

Il met par ailleurs en place tout un système de situations plus ou moins connectées les unes aux autres et destinées à se rejoindre in fine pour une conclusion explosive. Car la tension, bien entendu, ne cesse de monter alors que Pandora et Georges parviennent à maintenir le blocage, que la chaleur monte sur l’autoroute écrasée de soleil et que les réactions deviennent de plus en plus imprévisibles et loufoques.

Tout cela fonctionne à l’énergie, Sébastien Gendron s’appliquant à éviter tout temps mort, que ce soit par la mise en place de scènes rocambolesques, de discours incisifs ou de métaphores choisies (« Anders Maag possède le quotient intellectuel d’un saumon pendant la période de fraie »).

Révolution relève ainsi de l’exutoire. On prend plaisir à voir quelques abrutis subir violemment les coups du sort, on se réjouit de scènes complètement échevelées – mention spéciale à la poursuite de Pandora par la population en colère – et l’on se prend même à rire. Le rire aussi comme politesse du désespoir, car derrière la fable déjantée, Sébastien Gendron laisse poindre un certain pessimisme que viennent appuyer les discours qu’ils prête à certains personnages ou l’attitude d’autres.

Alors voilà, on s’amuse à la lecture de ce roman ; il fait du bien, mais il laisse aussi un petit arrière-goût amer qui lui permet de ne pas être qu’un simple divertissement.

Sébastien Gendron, Révolution, Albin Michel, 2017. 395 p.

Du même auteur sur ce blog : Quelque chose pour le week-end ; Road tripes ; La revalorisation des déchets ; Fin de siècle ;

Publié dans Noir français

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