So long and thanks for all the cocaine : Quelque chose pour le week-end, de Sébastien Gendron
Kirk Bay, petite bourgade du Yorkshire aurait pu demeurer une cité comme les autres, avec son pub, ses deux concessionnaires automobiles, ses rues truffées de caméras de surveillance qui, depuis leur installation, ont fait monter chez les habitants le sentiment d’insécurité, et son lot de paisibles retraités. C’est d’ailleurs l’un d’entre eux, Lawrence Paxton, qui va faire la découverte qui entrainera la ville dans le chaos. Alors qu’il se balade sur la plage, le sexagénaire tombe nez à bec avec une colonie de pingouins occupés à bambocher en ingérant de la cocaïne échouée dans une multitude de ballots en plastique. Ces pingouins ne sont pas communs. Ce sont des Grands Pingouins, espèce disparue de la surface de la Terre depuis 1844. Quant à la cocaïne, Lawrence a tôt fait de s’apercevoir de quelle manière elle le requinque et vient lui donner ce sentiment de toute puissance qui le convainc qu’il est enfin temps pour lui de se débarrasser définitivement de sa femme.
Assaillie par les pingouins et les promoteurs de parcs d’attraction, Kirk Bay va peu à peu basculer, à l’image de Lawrence, dans la violence.
C’est peu dire que le postulat de départ du nouveau roman de Sébastien Gendron est pour le moins original. Encore fallait-il ensuite arriver à écrire à partir de cela un livre qui se tienne. Levons d’ores et déjà toute prévention : non seulement c’est possible, mais, en plus, l’auteur semble y arriver sans problème. Il tisse ainsi une histoire aux multiples ramifications et, même si son intrigue semble parfois prendre un tour carrément foutraque, il finit bel et bien par retomber sur ses pieds.
Comme souvent dès lors que l’on fait intervenir un brin de fantastique et des animaux qui sont plus que des animaux mais surtout un élément catalyseur des craintes et des haines soigneusement étouffées, on voit craquer le vernis des convenances. Les défauts de chacun des protagonistes (le politicien bouffé par l’ambition, le garagiste escroc, le retraité amer, les flics incompétents, le promoteur, euh… promoteur) sont exacerbés au point de prendre une dimension tout bonnement extraordinaire ; et Sébastien Gendron se sert de ce procédé pour détruire méthodiquement cette cité trop faussement lisse tout au long d’un roman à la dimension hautement cathartique. En ce sens, si l’on se laisse aller au jeu de la comparaison, on dira qu’il y a chez lui un peu de Tim Dorsey mais aussi de Douglas Adams, ou encore, si l’on regarde du côté du cinéma, de Joe Dante.
Certes, l’intrigue aurait peut-être parfois gagné à être plus resserrée, mais Sébastien Gendron semble y prendre un plaisir communicatif qui nous incite à piétiner nous aussi avec joie le château de sable de Kirk Bay et plus généralement de cette société qui, sous un aspect policé et civilisé, crée frustration et envie et n’attend que le détonateur qui lui permettra de retourner à la bestialité. Tout cela avec un humour ravageur, tantôt potache, tantôt cynique, et une plume acérée. Voilà justement de quoi occuper agréablement un week-end.
Sébastien Gendron, Quelque chose pour le week-end, Baleine, 2011.
Du même auteur sur ce blog : Road tripes ; La revalorisation des déchets ; Révolution ; Fin de siècle ;