Suburra, de Carlo Bonini et Giancarlo De Cataldo
En novembre 2014, la police italienne arrêtait Massimo Carminati, dit Le Borgne. Dans la foulée, des dizaines d’autres personnes sont arrêtées, dont un nombre conséquent de conseillers municipaux et régionaux, fonctionnaires et chefs d’entreprises et, cerise sur le gâteau, l’ancien maire post-fasciste de Rome Gianni Alemano est mis en examen. À cette occasion, l’emprise de la Mafia – au sens général du terme – sur la capitale italienne apparaît au grand jour. Le Borgne, les lecteurs de Romanzo Criminale, roman de Giancarlo De Cataldo, ancien juge reconverti dans l’écriture, qui romance l’histoire véridique de l’ascension et de la chute de la bande de la Magliana à Rome dans les années 1970-1980 le connaissent ; il y apparaît sous le surnom du Noir, référence à son appartenance à un groupuscule terroriste d’extrême-droite avant de s’engager dans le banditisme.
Et justement, un an auparavant, en 2013 donc, c’est un peu cette histoire vraie qu’anticipent Carlo Bonini et Giancarlo De Cataldo dans Suburra.
L’alter ego de Carminati s’appelle ici Samouraï, ancien chef d’un groupe fasciste lui aussi reconverti dans le grand banditisme et véritable maître de Rome après avoir su créer des alliances fructueuses avec les différentes factions prêtes à se partager cette ville ouverte, gitans, Camorra et N’Drangheta. Plus policé et certainement plus malin que ces alliés de circonstance, Samouraï a surtout pour lui de connaître intimement Rome et ceux qui y sont au pouvoir, que ce soit dans les différentes instances politiques ou au sein des forces de l’ordre et de la justice. Grâce à des affinités politiques, bien entendu, car comme le montrent les auteurs, les idées fascistes sont aussi bien implantées dans la pègre que dans les institutions, mais aussi grâce à de nombreux dossiers que Samouraï a pu se procurer et qui lui permettent de tenir la laisse courte à ceux qui sont aux affaires.
Tout pourrait aller pour le mieux, et le grand projet immobilier que caressent le Samouraï et ses complices entre Rome et le littoral d’Ostie pourrait bien sortir de terre si Malgradi, politique corrompu affidé de Samouraï ne dérapait pas lors d’une nuit agitée avec deux prostituées dont l’une finira mangée par les chiens errants après une inhumation aussi sommaire que clandestine. Dès lors s’enclenche un engrenage de violence et de trahison dans lequel vient par ailleurs s’insérer Marco Malatesta, carabinier tête brûlée et ancien disciple du chef mafieux.
Comme dans Romanzo Criminale, dont la bande de la Magliana hante ce roman, Suburra est d’abord une profusion de personnages. Ils sont au moins une bonne vingtaine, que Bonini et de Cataldo entendent bien ne pas négliger, à jouer un rôle essentiel dans l’intrigue. Pour autant, la description de cette Rome souterraine, pourrie par la corruption, minée par les luttes de pouvoir et d’influence, ne se révèle jamais confuse, les auteurs prenant grand soin de ne jamais perdre le lecteur.
Mais au-delà de cette quasi enquête – et on a tôt fait, au moins à cause de la ressemblance des deux noms, d’associer Suburra et Gomorra – Carlo Bonini et Giancarlo De Cataldo savent donner à leur histoire un véritable souffle romanesque, créent des personnages ambigus dont certains évoluent sur le fil ténu qui sépare le bien du mal. Des personnages surtout confrontés à de véritables dilemmes moraux, partagés entre la fidélité à leurs idéaux et leurs amours, dépassés par leur hybris ou par la bêtise crasse de ceux qui sont censés les épauler. Portrait sans fard de la putain croulante que semble être devenue Rome sous les années Berlusconi, Suburra se révèle être un roman passionnant.
Carlo Bonini et Giancarlo De Cataldo, Suburra (Suburra, 2013), Métailié Noir, 2016. Traduit par Serge Quadruppani. 476 p.
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