Un entretien avec Donald Westlake mené par Christophe Dupuis

Publié le par Yan

Donald_Westlake.jpgUne fois encore, profitons de la générosité de Christophe Dupuis qui nous a fait l'honneur de nous confier une longue interview de Donald Westlake réalisée par mail en 2006. Comme toujours avec Christophe, c'est intelligent, et comme toujours avec Westlake, c'est passionnant.En avant.

 

 

Je suis un rien impressionné de rencontrer une telle icône du polar, et je suis inquiet quant aux questions à poser, depuis le temps que vous répondez aux interviews…

Et merci d'avoir répondu à tant de questions…

 

Alors, pour reprendre depuis le début mais en faisant bref, rassurez-vous : Qu'est-ce qui vous a poussé à écrire? Et quand avez-vous commencé à écrire?

Pour commencer, j’étais un enfant qui adorait les histoires ; les écouter, les lire, les voir et finalement les écrire. Tout le reste vient de cet amour des histoires.

 

A quel moment commencez-vous à mettre de l'humour dans vos romans et pourquoi?

Pendant mon enfance, ce n’était pas moi le plus drôle. Moi, j’étais toujours le meilleur copain du plus drôle. J’étais l’admirateur, donc je n’ai jamais essayé une voix drôle, jusqu’au moment où elle est sortie toute seule. Le pigeon d'argile avait un caractère gaffeur, du coup je l’ai laissé prendre le relais, et je ne me suis jamais retourné depuis.    

 

Aujourd'hui, vous pourriez ne plus écrire, qu'est-ce qui vous pousse à continuer?

Pour ne plus écrire, il faudrait que je n’aie plus l’amour des histoires. Je ne pense pas que cela arrivera.

 

Combien de livres par an écrivez-vous?

Depuis plusieurs années maintenant, j’écris deux livres par an ; un Westlake et un Stark. Ca va peut-être ralentir, je le saurai bientôt. 

 

Sur les photos, on vous voit toujours écrire à la machine à écrire… seriez-vous rétif au progrès comme Dortmunder?

Je ne suis pas contre le progrès. Comme vous le voyez, je vous réponds sur cette machine minable. Mais pour mon travail, j’utilise toujours la machine sur laquelle j’ai appris à écrire ; la machine à écrire portable Smith-Corona Super Silencieux, parce que comme ça je me concentre sur l’histoire et pas sur l’équipement.

 

Vous êtes comme les grands crus bordelais, plus vous vieillissez, meilleur vous êtes (et pourtant la barre de départ était haute), alors, quel est votre secret pour écrire aussi vite et aussi bien?

Je suppose que le secret pour écrire aussi bien et aussi vite est de ne pas regarder en arrière. Je suis toujours passionné par ce qui va se passer après, dans les histoires et dans la vie.

 

Sur votre site, vous dite que certains connaissent mieux votre bibliographie que vous… mais vous devez bien avoir une idée du nombre de livres que vous avez écrit (sous de multiples pseudonymes).

Ça a peut-être l’air bête, mais je ne sais pas exactement combien de livres j’ai écrits, et je ne vais pas me lancer dans un recensement. Ça, ce serait un retour en arrière. A ce moment, je pense que c’est entre 100 et 110.

 

Et après tant de livres, où trouvez-vous encore toutes ces idées?

Les idées viennent de partout; des journaux, la réalité, le subconscient… Une fois j’ai écrit un livre parce que je n’avais pas aimé la façon qu’avait eue H.G. Wells de traiter l’idée de l’homme invisible.

 

Il y a-t-il un livre que vous n'ayez pas réussi à écrire?

Des fois je compare l’écriture d’un roman à une promenade en forêt et la sortie de l’autre côté. Trois ou quatre fois au cours des années je suis rentré dans la forêt pour y mourir ; ces bris de romans sont quelque part dans un tiroir, en train de vieillir plus vite que tout le reste.

 

Et les nouvelles, on en lit peu de vous, serait-ce un format qui vous plaît peu?

Au début de ma carrière, j’écrivais beaucoup de nouvelles mais cela s’est estompé au fil du temps car je m’intéresse de plus en plus au champ confortable du roman. La nouvelle utilise des muscles différents, et je ne les ai pas entretenus.

 

Vous êtes traduits dans le monde entier, quel est le pays où vous sentez le plus apprécié? Il y en a-t-il certains qui seraient plus adeptes de Dortmunder ou d'autres de Parker?

La France m’a bien traité, autant en traduction qu’en adaptation cinématographique. L’Italie et le Japon sont les deux autres pays qui semblent être contents de me voir. De toute façon, je ne pourrais pas séparer Parker et Dortmunder.

 

"Dans les cas graves, mieux vaut rire que pleurer", cela pourrait être une de vos maximes?

Quand on a demandé à Abraham Lincoln comment il pouvait blaguer en plein milieu de la Guerre Civile, il a répondu: « Je ris que je ne pleure pas ». Ça m’a l’air d’être juste.

 

L'humour vous caractérise, mais êtes-vous plutôt optimiste ou pessimiste? 

Je me vois comme quelqu’un de pessimiste qui s’élève au fatalisme. Ce qui est bien avec le fatalisme, c’est qu'on se moque de celui qui dirige.

 

En France, vous avez un éditeur exceptionnel, pouvez-vous nous dire quelques mots sur François Guérif? Et sur les traductions massacrées par Gallimard?

Je connais François Guérif depuis plus d’années qu’il est décent de dire. Il a été mon traducteur pendant une conférence de presse il y a très longtemps. Depuis le début c’est quelqu’un de sincère, honnête, ouvert, responsable et très drôle. Quand il est arrivé chez Payot, je pensais que ce serait une bonne chose pour nous deux, et je le pense toujours. Je n’avais pas idée de ce qui se passait chez Gallimard avant que ce soit trop tard, donc il n’y a plus grand-chose à dire. Les personnes qui travaillent chez Gallimard aujourd’hui ne sont plus les mêmes, et ils n’ont peut-être même pas les mêmes attitudes.

 

Vous êtes une icône du polar, que pensez-vous du genre aujourd'hui?

Le polar change constamment, mais ne meurt jamais - une bonne chose. Des fois il est prétentieux, des fois académique, et des fois trop superficiel, mais il continue toujours d’avancer. On a la certitude qu’avec chaque livre, au moins on aura une histoire.

 

Alors, entamons votre première grande série : Dortmunder

 

Quand est né ce génial cambrioleur? Pensiez-vous en faire une série?

Ni Dortmunder ni Parker n’étaient censés être des personnages de série. J’ai écrit Comme une fleur en 1961 ; une histoire de revanche d’un méchant, où à la fin il se fait pincer. Un éditeur chez Pocket Books, Bucklyn Moon, m’a appelé en disant « Est-ce que Parker pourrait s’échapper pour que vous puissiez écrire d’autres histoires sur lui ? ». Je savais que c’était possible.  J’ai pensé  à une situation où il serait obligé de voler la même chose plusieurs fois, mais ça ne marcherait pas ; Parker ne le ferait pas. Il fallait trouver un autre gars, et j’ai trouvé Dortmunder sur une enseigne au néon dans un bar - DAB : Dortmunder Actien Bier. Le nom m’a donné le personnage, mais il n’était pas censé être un personnage de série. Deux ans plus tard j’ai vu une banque installée dans un mobile home pendant la restauration de la vraie banque et je me suis dit, « Un mec entreprenant avec un camion pourrait enlever cette banque. Et je crois que j’ai la personne qui convient » Mais c’était une suite pas une série. Puis, Universal Pictures m’a demandé d’écrire un scénario sur l’enlèvement Peugeot à Paris, où l’histoire venait d’un vrai livre écrit par Lionel White. C'est-à-dire des américains qui regardent un film et ensuite montent un coup. Quand le film est tombé à l’eau, ils étaient d’accord pour que je prenne l’histoire, et j’ai décidé de retourner au roman comme source. Après j’ai eu l’idée de Dortmunder et autres utilisant un roman non existant sur Parker. À ce moment-là, c’était devenu une série.     

 

 

 

Pourriez-vous nous présenter rapidement John et ses acolytes?

La série a commencé avec Dortmunder le pessimiste sortant de prison et rencontrant son ami Andy Kelp l’optimiste. D’autres personnages apparaissent et repartent, mais quelques uns restent : le chauffeur Stan Murch et sa Maman (toujours en majuscule), le chauffeur de taxi, le colosse Tiny Bulcher et sa copine J.C. Taylor ; l’amie de Dortmunder : May Bellamy. Il y a beaucoup de gens qui vivent  dans ce qu’on appelle l’économie monétaire c.à.d : pas de cheques, pas de documents, pas d’impôts, mais Dortmunder et ses acolytes vivent dans l’économie monétaire de quelqu’un d’autre.

 

Et pour le style, où trouvez-vous tout ça, si on ne prend que le dernier "Les sentiers du désastre", et qu'on fait un bref florilège "si tu ne peux pas dire du mal de quelqu'un, ne dit rien", "ça l'a mis dans une telle colère qu'il aurait pu déchirer un annuaire téléphonique avec les dents"…

Le langage est au cœur de l’histoire, avant les personnages, avant les événements. Le choix du langage nous dit comment analyser ce qui se passe. Dortmunder et ses amis sont baroques, digressifs, indirects. Parker se déplace brutalement vers l’avant.

 

Dortmunder, Kelp, divers autres acolytes… N'en avez-vous jamais été lassé, n'avez-vous jamais eu envie de vous en débarrasser?

Je ne me lasserai jamais des possibilités de Dortmunder. Je perdrais peut être sa guerre contre la technologie - ça va trop vite. Le temps de publier une de ses rouspétances, l’objet en question est déjà obsolète.

 

Vous avez pris le parti pris de les faire évoluer dans le temps (d'où, justement, les scènes terribles de John et la technologie), mais ils ne vieillissent pas (pas comme ceux de Crumley, par exemple), pourquoi?

Il y aurait intérêt à les vieillir seulement si je tenais à en parler particulièrement, qui n’est pas le cas. Jeeves et Bertie (personnages de P.G. Wodehouse) n’ont jamais vieillis et le contraire serait horrible. La comédie existe hors du temps, avec seulement quelques coups d’oeils de temps en temps.

 

 

Deuxième série, Parker.

 

Pourquoi avoir utilisé le pseudonyme de Richard Stark? Pourriez-vous nous dire quelques mots de Parker, et de  Grofield, qu'on retrouve aussi?

J’ai déjà parlé pas mal de Parker. Grofield est entré pour donner un peu d’air à la série, mais après cela je n’en avais plus vraiment besoin. J’ai utilisé un pseudonyme au départ parce que j’écrivais trop, et j’avais besoin de déblayer mon bureau. Richard était pour Richard Widmark jouant Tommy Udo dans Le Carrefour de la Mort, et Stark c’était pour me rappeler le langage que je voulais utiliser. (Stark veut dire parcimonieux en français ndlt).

 

Vous avez laissé tomber Parker entre 1974 et 1997? Pourquoi? Et pourquoi le retour?

Pour moi, Parker est un genre d’ouvrier, il fait simplement le travail qu’on lui demande, ne se vexe jamais. En 1974, il m’a abandonné. Je pense que ma vie a changé et je n’entendais plus sa voix dans ma tête. Je pense qu’il est revenu grâce au travail que j’ai effectué sur le film Les Arnaqueurs, qui m’a permis de refaire connaissance avec ce style de roman noir.

 

 

 

Troisième série, sous le pseudonyme de Tucker Coe

 

Ce sont juste 5 livres entre 1966 et 1972, avec l'ex-flic Mitch Tobin… respectivement, vous en pensez quoi?

Tucker Coe va et vient ; je parle de la disponibilité. C’était la seule série fait exprès, et regardez ! Tobin était un fou furieux, intéressant pendant un moment, mais après cinq livres soit il devait guérir et devenir un détective privé comme les autres et donc qui ne m’intéresse plus, soit il devenait invalide pour toujours, et pareil, ne m’intéressait plus. Tant pis pour les projets.

 

 

Dans un registre différent, beaucoup plus grave, deux romans, "Le couperet" et "Le contrat".

 

Alors, "Le couperet", d'où vous est venu l'idée de ce livre?

J’étais inspiré pour Le Couperet par la vague de ‘downsizing’ qui parcourait les Etats-Unis. Des milliers de personnes se sont retrouvées au chômage. Je suis indépendant depuis mai 1959, donc jamais dans le monde des salariés, ce qui m'a permis d’exprimer quelque chose de nouveau sur le sujet. Ce livre est devenu quelque chose de très émotionnel, mais pas sans  l’humour noir.

 

 

A-t-il été plus difficile à écrire que les autres? Quel a été l'accueil en Amérique et quels ont été les retours de vos lecteurs?

C’était facile à écrire parce que j’avais la voix du personnage principal. J’étais aussi proche de lui que ses pellicules. Je l’ai écrit en 40 jours. Il a été un succès aux Etats-Unis et a reçu trois critiques dithyrambiques du New York Times (dans les rubriques : quotidien, dimanche et affaires), du jamais vu. Les gens ont apprécié le livre, mais il les dérangé parce qu’ils pouvaient imaginer d’être dans sa situation et ne pas réagir comme lui. 

 

Avec ce livre, vous entrez dans un roman noir dénonciateur, quel est votre point de vue sur ce type de roman engagé?

Je ne ferais jamais un livre comme ça juste parce que c’est un sujet chaud. Au fond il faut de la passion, sinon l’arnaque se voit.

 

Comment s'est passée l'adaptation avec Costa Gavras? Et comment trouvez-vous le film à l'arrivée?

Costa étais formidable. J’adore le film qu’il a fait, j’adore la distribution et José Garcia est parfait. Ma femme et moi passions à Paris au moment du tournage et on nous a proposé de venir voir. Nous sommes passé et Costa m’a mis dans le film, dans le couloir quand le héros va passer un entretien.

 

"Le contrat"

 

C'est une descente en règle des mœurs éditoriales américaines… pourquoi?  Vous, vous n'avez pas du en pâtir, mais des amis à vous en ont subi les effets?

Le Contrat touche à un autre phénomène de l’édition américain : le passé professionnel. J’ai eu de la chance de ne pas en subir les effets, mais j’ai des connaissances qui n’ont pas eu autant de chance.

 

Comment envisagez-vous l'avenir du livre (le vrai livre, pas les produits marketing) et de la librairie ces prochaines années?

Le livre est pour toujours. La tasse à café est pour toujours. Les types en technologie y laissent toujours leurs chemises. Le fondateur d’Amazon  a ramassé un paquet parce qu’il a trouvé une nouvelle façon de livrer l’ancien vrai produit, et pas une façon innovatrice d’imprimer l’histoire sur les yeux du client.

 

Et pour finir, le cinéma

 

Non content d'avoir écrit plus d'une centaine de livres, vous avez aussi signé quelques scénarios…. Cela présente-t-il une grosse différence avec l'écriture de livres?

La différence entre écrire un livre et écrire un scénario est que je peux écrire un livre tout seul, mais pour un scénario je reçois beaucoup d’aide. Et on est mieux payé pour un scénario. J’ai presque toujours évité d’adapter mes propres œuvres parce qu’un nouveau format nécessite un nouvel œil, quelqu’un qui sait mieux raconter l’histoire dans ce domaine.

 

Quels sont  à votre avis les acteurs ayant  le mieux incarné Dortmunder et Parker?

Quand j’ai commencé avec Parker je trouvais Jack Palance parfait. Avec Dortmunder je voyais très bien Harry Dean Stanton. Ils ont vieilli ; qui sait maintenant.

 

Un grand merci à vous, pour cette interview réalisée sur cette "machine infernale"

 

Traduction Allison Granier.

Publié dans Entretiens

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