Celui qui ne dormait pas, d’Alessio Viola
À Bari, à la fin des années 1990, une nouvelle bande, plus violente, moins soucieuse des règles, monte au sein de la mafia éclatée des Pouilles. Parmi eux, Giacinto Trentadue commence à se faire un nom dans le quartier de Poggiofelice grâce à son aptitude naturelle à tuer sans se poser de questions. De son côté, le lieutenant de police Roberto de Angelis, quinquagénaire insomniaque au bord de la dépression engagé dans une relation complexe avec une doctoresse adepte de la domination, surveille de près la bande de Poggiofelice. De si près, qu’il se lie peu à peu d’une véritable amitié avec Giacinto. Au risque que ces deux relations complexes et pernicieuses le fassent basculer du mauvais côté.
Le roman d’Alession Viola vaut bien entendu d’abord pour sa description de la relation qui se noue entre Trentadue et de Angelis et la façon dont se dernier, au contact du jeune tueur, semble se libérer en partie du poids des conventions et des règles qui l’écrasent. En n’étant plus vraiment un flic tout en n’étant pas non plus un mafieux, mais en ayant la possibilité d’arranger alternativement sa vie grâce à son statut officiel d’un côté et à ses liens avec Giacinto de l’autre, il s’offre une liberté ou à tout le moins une illusion de liberté, qui l’entraîne peu à peu sur une pente glissante. Tout cela, Viola l’écrit d’une manière on ne peut plus classique voire, parfois, un peu naïve tout en sachant malgré tout maintenir une réelle tension. En effet, si le destin de Giacinto Trentadue semble dès le départ gravé dans le marbre, il réserve toutefois une multitude de portes de sortie à Roberto de Angelis ; et l’on se demandera jusqu’au bout s’il les empruntera ou même s’il n’en a pas à certains moments emprunté sans que l’on s’en aperçoive. Excellent acteur, véritable pourri ou simplement homme égaré, le portrait de de Angelis est mouvant, difficile à arrêter et à cerner.
Celui qui ne dormait pas vaut ensuite pour sa peinture de la pègre des Pouilles et de l’environnement social et historique dans lequel elle s’enracine. Dans ces villages absorbés par l’agglomération mais qui demeurent autant de fiefs dans lesquels les affaires se règlent en famille, dans ces relations institutionnalisées entre les caïds locaux et la population qui dépend pour grande partie d’eux, dans la corruption et l’inconséquence administrative sur lesquelles la criminalité organisée fait son lit. La description de ces clans qui tiennent plus d’un mélange de féodalité et de liens familiaux circonscrits à des zones bien délimitées qu’à la pieuvre que peut représenter la Cosa Nostra, tout comme celle de l’expansion de Bari et des liens de sociabilité qui entrent en jeu dans cette ville provinciale du sud de la péninsule, donnent au roman d’Alessio Viola une couleur à part et un charme indéniable.
Encore une belle découverte à faire du côté du polar italien.
Alessio Viola, Celui qui ne dormait pas (Dove comincia la notte, 2013), Rivages/Thriller, 2014. Traduit par Gérard Lecas.