L’espion qui venait du livre, de Luc Chomarat
Minable resucée d’OSS 117, Bob Dumont est le héros récurrent des livres de John Davis et, accessoirement celui qui permet aux éditions Delafeuille de garder la tête hors de l’eau. Mais après des décennies de bons et loyaux services, Dumont est définitivement has been et John Davis de plus en plus mauvais. C’est pourquoi, afin de tenter de sauver sa maison d’édition mise sous la tutelle d’un jeune conseiller issu d’une école de commerce, Delafeuille décide pénétrer dans le dernier ouvrage de Davis afin de conseiller directement Bob Dumont.
Entre mise en abyme et pastiche de roman d’espionnage, on pense bien entendu en lisant L’espion qui venait du livre, au Magnifique de Philippe de Broca ou à Last Action Hero, de John McTiernan pour le cinéma, ou encore, par certains aspects, côté littérature, au Adios Shéhérazade de Donald Westlake. Si, en trame de fond se dessine un portrait bien peu flatteur et très pessimiste du devenir du milieu de l’édition, s’est avant tout le côté très loufoque du roman que l’on retiendra ; les tentatives vouées à l’échec de Delafeuille pour faire évoluer le monolithique Dumont et son auteur notamment. Comme lorsque, dans un des premiers chapitres, l’éditeur infiltré dans une scène se déroulant à Singapour essaye de convaincre Dumont/Davis d’abandonner les qualificatifs racistes.
«-Et puisqu’on en parle, faudrait voir à mettre un terme à ces stupides propos racistes. On ne dit pas des « Jaunes ».
-Mais ils sont jaunes. Fourbes. Ils sont au service du mal.
-Ils ne sont pas jaunes. Ce sont des Asiatiques. Des citoyens du monde, comme vous et moi.
Tout en parlant, ils étaient arrivés à l’ascenseur. Le liftier, un Jaune de petite taille, au regard extraordinairement fourbe, les précéda dans la cabine avec force courbettes. »
Si ce procédé mettant en scène Dumont et Delafeuille, tous les deux décrits toutefois par l’auteur qui avance en même temps dans ce roman dans lequel l’éditeur est infiltré, confine parfois à l’abattage (et il fallait oser se lancer ainsi dans certains dialogues de plusieurs pages sur la cuisine au wok), la brièveté du roman – moins de deux-cent pages qui se lisent très vite – évite au lecteur la lassitude quand bien même certains passages apparaissent parfois un peu bancals.
L’enthousiasme de Luc Chomarat l’emporte vite sur ces menus défauts et, si L’espion qui venait du livre n’est pas un grand roman, il apparait comme une parenthèse bien agréable dans les parutions de cet été, offrant au lecteur une ou deux bonnes heures de sourire et même parfois de franche rigolade.
Luc Chomarat, L’espion qui venait du livre, Rivages/Noir, 2014.
Du même auteur sur ce blog : Un trou dans la Toile ; Le polar de l'été ; Le dernier thriller norvégien ;