Fantôme, de Jo Nesbø
Pour sa neuvième apparition, l’inaltérable Harry Hole revient de son exil hongkongais pour tenter de résoudre une affaire qui le touche de près. En effet, Oleg, le fils de Rakel, l’amour de sa vie, est accusé du meurtre de Gusto, un dealer avec lequel il trainait depuis quelques années. Toutefois, au fur et à mesure qu’il avance dans son enquête, Hole met à jour de nombreuses collusions entre services de police, politiques locaux et un mystérieux trafiquant de drogue surnommé Dubaï. Ce faisant, il perturbe un fragile équilibre et devient lui-même une cible à abattre.
Commençons par le positif.
Personnage attachant et complexe, c’est toujours avec plaisir que l’on retrouve Harry Hole. Ajoutons à cela la thématique du trafic de drogue, de la marginalité et de la corruption en Norvège qui vient quelque peu bousculer l’image que l’on peut avoir de ces sociétés scandinaves souvent citées en exemple chez nous[1] et, bien entendu, le savoir faire de Jo Nesbø. Car l’auteur norvégien est indéniablement l’un des meilleurs auteurs de thriller actuels. Imaginatif, collant au plus près à la réalité sociale et politique mais aussi spécialiste éprouvé des fins de chapitres qui donnent envie de continuer à tourner les pages et de la mise en place de fausses pistes et de personnages ambigus, il fait preuve d’un savoir faire qui lui permet d’accrocher le lecteur et de le tenir en haleine.
Fantôme ne fait pas exception à la règle est peut être considéré comme un roman de bonne facture qui ajoute donc aux éléments classiques du genre (le policier torturé, le mystérieux tueur et les flics et politiques corrompus et, bien entendu un méchant très méchant et de multiples rebondissements) une intéressante vision de la société norvégienne.
Cela suffit-il pour autant ? Sans doute pas.
D’abord parce que s’il s’attache à montrer une certaine image de la société norvégienne, ce pan de l’histoire est avant tout un décor dans lequel évolue Harry Hole. Si les questions de corruptions, de collusions, viennent appuyer l’intrigue, ce sont les atermoiements et l’impossible histoire d’amour du héros qui sont au centre de ce roman. De fait, Nesbø flirte souvent avec le mélo pathétique. Trop appuyée, cette part de l’intrigue s’avère parfois particulièrement lassante.
Ensuite parce que le Hole complexe et rebelle que l’on connaissait apparaît ici plus comme quelqu’un d’ambigu, monolithique et butté. D’aucuns y verront sans doute justement la marque de la complexité d’un Hole qui n’est jamais vraiment ce que l’on attend, d’autres trouveront peut-être que cela manque de finesse.
Enfin, on l’a déjà dit à propos du Léopard, volet précédent des enquêtes de Harry Hole, Nesbø est un excellent faiseur qui sait s’approprier tous les clichés du genre. Toutefois, là où Le Léopard, par son énergie, le rythme rapide de cette fuite en avant du héros, réussissait à nous les faire avaler sans problèmes, la relative lenteur et les méandres, amoureux ou politiques, de Fantôme les laissent par trop paraître. Les facilités formelles s’amoncellent (les interminables monologues de Gusto pour nous éclairer sur le passé, le « truc » qui permet à Hole de s’en sortir in extremis totalement incroyable, les pistes qui pointent comme dans Le léopard vers celui qui est devenu l’ennemi juré de Hole…) et peuvent se révéler, au bout d’un moment, agaçantes.
Pour autant, tout n’est pas à jeter. Il est incontestable que le talent de Nesbø place ce roman au-dessus du lot si on le compare à la masse des thrillers, qu’il sait lui donner un peu plus d’épaisseur et de complexité et que l’on passe un agréable moment de lecture. Reste qu’il est indéniable que l’on se situe un bon cran en-dessous de ce à quoi Nesbø nous avait habitué. Espérons qu’il redressera la barre pour son prochain roman.
Jo Nesbø, Fantôme (Gjenferd, 2011), Gallimard, Série Noire, 2013. Traduit par Paul Dott.
Du même auteur sur ce blog : L'homme chauve-souris ; Les cafards ; Le léopard ;
[1] En tout cas pour celui, comme moi, qui a très peu lu d’auteurs scandinaves.