Djemila, de Jean-François Vilar
Pour avoir volé des CD dans un supermarché, Djemila se trouve entre les mains baladeuses d’un vigile. Des mains qu’elle ne peut supporter et qu’elle poignarde avant de fuir. Encarté au MNR, le parti d’extrême-droite qui caracole dans les sondages à la veille des élections, le vigile, qui a repéré sur les papiers de la chapardeuse son adresse, n’entend pas en rester là. Accompagné de deux amis, il prépare une expédition punitive. Mais Djemila vit avec Sinclair, intellectuel réputé, ancien résistant, ancien militaire ayant dénoncé la torture en Algérie. Les deux hommes qui sont montés jusqu’à l’appartement pour donner une leçon à la jeune femme n’en ressortiront pas. Leur complice, qui les attendait dans la voiture, ne fera pas long feu. Et le banal larcin va bien vite agiter les diverses officines en course pour les élections, entre ceux qui voudraient faire tomber l’agaçant Sinclair et les autres, qu’une telle affaire pourrait par trop déstabiliser eu égard à leurs relations étroites avec l’intellectuel.
Étonnant comme ce roman de 1988, réédité récemment en Folio, semble n’avoir pas pris une ride. Bien sûr, les anciens résistants sont beaucoup moins nombreux dans le personnel politique ou dans l’intelligentsia française, mais, pour ce qui nous est donné à voir ces derniers, les courants de fond qui parcourent la vie politique, les faits-divers exploités par les uns ou les autres, les barbouzeries et les récupérations sont encore monnaie courante.
Mais si Djemila est un roman qui reste d’actualité, ce n’est pas seulement par la grâce de ce récit des affres politico-barbouzardes qui se jouent en une veille d’élections. C’est parce que Jean-François Vilar aborde par ce biais des thèmes tragiques universels et intemporels : le désenchantement d’hommes vieillissants qui regardent leur glorieux passé d’un autre œil, sans doute plus avisé mais moins indulgent, la conjuration du passé par la recherche de la vérité – ou d’une vérité – pour le personnage de Djemila, la solitude et la superficialité forcée d’un jeune homme écrasé par le poids d’un père devenu un mythe…
Tout cela, et d’autres choses encore, fondu dans une intrigue complexe, qui navigue habilement entre passé et présent, joue d’un effet de dominos pour nous montrer d’inexorables chutes, et est servie par une écriture redoutablement efficace, à la fois dépouillée et d’une grande force d’évocation.
Bref, 200 pages qui non seulement en disent plus que de nombreux pavés mais le disent aussi bien mieux.
Jean-François Vilar, Djemila, Calmann-Lévy, 1988. Rééd. Folio Policier, 2011.
Du même auteur sur ce blog : C'est toujours les autres qui meurent ; Bastille tango ;