Cible mouvante, de Ross Macdonald
Ce qui est bien, avec les nouvelles traductions, généralement augmentées, comme c’est le cas ici, après les coupes impitoyables qui ont pu avoir lieu lors des premières publications en France (on pense bien entendu à Hammet, Chandler ou Thompson, pour ne citer que quelques auteurs parmi les plus illustres), c’est qu’elles permettent de porter un nouveau regard sur les auteurs, mais aussi, pour ceux qui, comme nous avec Ross Macdonald, n’avaient pas encore eu l’occasion de les lire, de tout simplement les découvrir.
Les éditions Gallmeister, donc, ont décidé de rééditer dans leur collection de poche (Totem), et dans une nouvelle traduction menée par Jacques Mailhos[1], l’ensemble des romans de Ross Macdonald mettant en scène le détective Lew Archer et publiés entre 1949 et 1976. Et ça commence donc avec Cible mouvante, premier roman de la série.
Engagé par Elaine Sampson pour retrouver son mari, Ralph Sampson, magnat texan du pétrole installé en Californie du Sud, Archer met les pieds dans un véritable panier de crabes qui ne laisse pas de l’interroger. D’abord parce que Sampson est coutumier des éclipses de quelques jours et qu’il n’a disparu que depuis 24 heures. Ensuite parce que les membres de la famille Sampson semble entretenir des liens troubles, entre Elaine, sorte de mégère handicapée et Miranda, la fille issue d’un premier mariage de Ralph Sampson qui navigue entre nymphomanie et schizophrénie, auxquelles il convient d’ajouter le pilote d’avion de la maisonnée, Alan Taggert, sorte de fils de substitution de Sampson qui a noué des relations ambigües avec Miranda. Enfin, parce que navigue autour de ce beau monde toute une faune interlope et suspecte : ancienne actrice portée sur les astres, faux prophète, patron de bar flirtant avec la pègre, pianiste cocaïnomane… Le tout sera de savoir si Sampson a bien été enlevé et, si tel est le cas, par qui, et avec quelles complicités.
D’entrée Ross Macdonald nous plonge dans un monde très proche de celui de Chandler en propulsant un privé hardboiled (« Je m’interroge. Je conjecture, même. Je fais surtout dans le divorce. Je suis un chacal, vous savez », annonce, d’entrée de jeu Lew Archer à Elaine Sampson) dans une haute-société californienne qui cumule les déviances et les pathologies psychiatriques. C’est d’ailleurs la radiographie de cette société et ses liens entretenus avec d’autres milieux (escrocs à la petite semaine, malfrats ou immigrés clandestin) par le biais de relations de dépendance ou de domination – quand les deux ne se mêlent pas, comme avec Taggert – qui fait l’essentiel de l’intérêt de ce volume.
Certes, Ross Macdonald impose avec Lew Archer un personnage intéressant, en particulier par son approche psychologique, beaucoup plus fine que peuvent le laisser paraître ses manières parfois rudes, de l’affaire, mais qui reste encore peint à grands traits et emprunte beaucoup à Marlowe ou Spade. Il n’en demeure pas moins que, d’évidence, Macdonald ne veut pas s’en tenir à une simple copie et entend proposer un personnage d’une nouvelle génération, plus attentif à la manière d’être et aux sentiments des protagonistes de son affaire, plus poussé à l’introspection aussi sous une carapace de tough guy qui, malgré tout, cherche autant que possible à éviter l’affrontement physique.
À cela vient s’ajouter une écriture efficace, limpide, mais toujours tendue qui accroche le lecteur jusqu’au dénouement. Bref, un vrai bon classique du genre.
« Un domestique philippin en livrée blanche apparut par la porte vitrée.
-Votre café, madame Sampson.
[…]
-Merci, Felix.
-Soit elle était aimable avec la domesticité, soit c’était ce qu’elle voulait me faire croire.
-Vous en prendrez, monsieur Archer ?
-Non, merci.
Vous préféreriez peut-être un verre ?
-Pas avant le déjeuner. Je suis un détective de la nouvelle école. »
Ross Macdonald, Cible mouvante (The Moving Target, 1949), Gallmeister, coll. Totem, 2012. Traduit par Jacques Mailhos.
Du même auteur sur ce blog : Noyade en eau douce ; À chacun sa mort ; Le sourire d'ivoire ; Trouver une victime ;
[1] Qui, excusez du peu, a moissonné les prix de meilleur traducteur pour sa traduction de Désert solitaire, d’Edward Abbey – prix qui lui ont permis de réaliser son rêve en se consacrant désormais pleinement à sa passion : les anagrammes