Un soleil sans espoir, de Kent Anderson
Hanson, double romanesque de Kent Anderson que l’on avait suivi durant son temps au Vietnam dans Sympathy for the Devil, puis au sein de la police de Portland dans Chiens de la nuit, est de retour. Après une expérience d’enseignant de littérature dans une université de l’Idaho dont le moins que l’on puisse dire est qu’elle n’a pas suffit à le satisfaire, le vétéran en quête de violence et de mort décide de s’engager à 38 ans dans les forces de police d’Oakland.
« Il se fiche de vivre ou de mourir. La plupart des gens le lisent dans ses yeux et se ravisent, hésitent, tentent de s’expliquer. Quant à ceux qui ne le voient pas, il a survécu si longtemps quand d’autres sont morts que sa réaction à la menace est instinctive, plus rapide que la pensée. Cette force de vie dépasse sa volonté. Certaines nuits, il sait qu’on ne peut pas le tuer. Il craint de vivre pour toujours. »
Mû par une envie de mort contrebalancée par un instinct de vie profondément ancré en lui, ce militaire et flic revenu de tout, trouve en Oakland un lieu qui tient pour lui autant du paradis que de l’enfer. L’enfer, plus que tout, ce sont ses collègues et sa hiérarchie : racistes, agités de la gâchette ou trop occupés par les statistiques et les stratégies politiciennes, ils amènent Hanson à se demander bien souvent ce qu’il fait là. Le paradis, c’est donc Oakland, sa population de repris de justice qui n’ont plus rien à perdre, ses gangs et ses quartiers abandonnés qu’a si bien décrit par ailleurs Eric Miles Williamson, et donc autant d’occasions pour Hanson de jouer de son regard de fou, de courir après la mort, de la frôler parfois, de la donner à d’autres moments, de la chercher toujours.
On retrouve dans Un soleil sans espoir tout ce que l’on aime chez Kent Anderson : la précision de chaque phrase, la poésie de la violence, ces moments troubles dont on ne sait pas plus qu’Hanson s’ils sont réels où seulement des constructions de son imagination vérolée à jamais par les traumatismes de la guerre. Au cœur des ténèbres dans lesquelles erre Hanson durant ses rondes de nuit solitaires, Anderson place toutefois quelques moments et personnages lumineux qui, s’ils ne permettront peut-être pas sa rédemption, le rattachent à la vie : c’est une jument qu’il se plaît à croiser au petit matin, les oiseaux qu’il observe, Libya, dont il pourrait tomber amoureux et surtout Weegee, le gamin à vélo qui semble suivre ses pas et se fait parfois son guide dans le dédale d’Oakland. Un gamin face auquel surtout Hanson peut être lui-même et envisager de vivre.
Sur la trame d’une intrigue qui voit Hanson développer une relation étrange avec Felix, le dealer maître d’Oakland, et avec Weegee, Kent Anderson, comme dans ses romans précédents, rattachent des chapitres qui pourraient être autant de nouvelles fulgurantes, sur le quotidien de son héros, mais aussi sur les souvenirs qui le hantent tandis qu’un gros lapin noir, matérialisation de sa conscience autant que de son instinct de survie, lui colle aux basques.
Tout cela a la beauté d’un désespoir qui se fait ici vacillant face à la possibilité d’une autre vie et, peut-être d’une échappatoire. C’est souvent violent, toujours d’une trouble poésie que l’on ne trouve que chez ceux qui se livrent totalement sans chercher à apitoyer, fait autant de moments de grâce que de chutes violentes et d’un humour absurde que seule la vraie vie peut offrir. C’est encore une fois, sous la plume d’Anderson, un texte sublime.
Kent Anderson, Un soleil sans espoir (Green Sun, 2018), Calmann Lévy, 2018. Traduit par Elsa Maggion. 391 p.
Du même auteur sur ce blog : Sympathy for the Devil ; Chiens de la nuit ; Pas de saison pour l’enfer ;