Riders on the storm : Le Sabot du Diable, de Kem Nunn
Légendaire photographe de surf, Fletcher est aujourd’hui sur le retour et vivote du côté d’Huntington Beach. Il voit cependant l’occasion de relancer sa carrière ou de faire un dernier baroud d’honneur lorsqu’un grand magazine de surf lui demande de suivre deux champions pour photographier une autre légende du surf, Drew Harmon, disparu de la circulation depuis une dizaine d’années.
Il s’agira de retrouver Drew à Heart Attacks, aux confins de la Californie du Nord, à la frontière de l’Oregon. Heart Attacks est une vague légendaire, jamais photographiée, et la surfer est un privilège qui se gagne. On n’est plus là sur les plages ensoleillées de la Californie du Sud, mais dans un lieu pluvieux, minéral, froid, aux eaux grises et infestées de requins. Sur une réserve indienne où le poids des croyances et des traditions n’a d’égal que celui de la marginalité dans laquelle ses habitants sont rejetés et dont ils tirent une méfiance et un ressentiment profonds à l’égard de ceux qui s’aventurent chez eux. De quoi transformer cette expédition en une véritable descente vers l’enfer.
Une fois n’est pas coutume, Kem Nunn nous entraîne dans le milieu du surf. Que le lecteur se rassure : il n’est pas plus nécessaire d’être un surfeur pour pouvoir lire Kem Nunn, qu’il n’est nécessaire d’être alcoolique pour lire Ken Bruen, schizophrène-psychopathe et paranoïaque pour lire Tim Dorsey ou pêcheur à la mouche pour lire William G. Tapply.
Si j’évoque ici Tapply, c’est que, comme lui, Kem Nunn est avant tout pour moi un grand, un magistral nature writer. Certes l’histoire qu’il nous raconte, d’une noirceur profonde seulement éclairée de très rares rayons de soleil, a son intérêt. Mais plus que tout, Nunn excelle dans la manière de nous faire vivre ce que vivent ses personnages au milieu de cette nature hostile et indomptable. Kem Nunn nous immerge littéralement dans son histoire, nous asphyxie avant de nous laisser respirer un peu, puis de nous plonger à nouveau la tête sous l’eau ou dans le brouillard épais de cette côté inexplorée.
Un roman éprouvant mais d’une incomparable beauté. Non pas le chef-d’œuvre de Kem Nunn, mais l’un d’entre eux tant cet auteur rare ne semble pas pouvoir faire moins bien. Magnifique.
Remercions au passage Sonatine d’avoir édité récemment Tijuana Straits ; une édition qui a sans doute précipité la réédition en poche, si longtemps attendue, du Sabot du Diable. C’est pour le 16 juin. Ne le manquez pas.
Kem Nunn, Le Sabot du Diable, Gallimard, La Noire, 2004. Rééd. Folio Policier, 2011. Traduit par Jean Esch.
Du même auteur sur ce blog : Tijuana Straits ; Surf City ; Chance ; La reine de Pomona ;