La reine de Pomona, de Kem Nunn
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Lu y a bien longtemps, relu récemment pour préparer une rencontre à la Machine à Lire, La reine de Pomona est un roman doux-amer qui, avant Chance, détonnait un peu dans la production de Kem Nunn telle qu’elle est connue en France, c’est-à-dire à travers notamment la traduction de ses romans dont les intrigues tournent autour du milieu du surf.
Earl Dean a grandi dans la vallée de Pomona où son arrière-grand-père possédait une grande plantation d’orangers. Mais depuis cette époque bénie et certainement fantasmée, l’industrialisation, la fièvre immobilière, l’expansion de l’agglomération de Los Angeles ont lentement métastasé les lieux. Héritier du dernier demi-hectare d’orangers de Pomona et d’une demeure qui tombe en ruine, Earl vivote en vendant des aspirateurs au porte-à-porte. Un soir, honorant un rendez-vous pris par un client potentiel dans un des quartiers décrépis de Pomona, il pénètre dans une maison qui offre un spectacle pour le moins étonnant :
« À ce stade de la partie, Dean avait déjà vu un certain nombre de cadavres. Toutefois, la plupart d’entre eux se trouvaient dans des cercueils étincelants, entourés de fleurs fraîchement coupées, et ils ne ressemblaient guère à ce que le motard avait chez lui. Ce cadavre était nu et blanc, étendu sur un lit de glace dans une grande glacière rouge portant sur le côté l’inscription "Coca-Cola", et dessous, ce slogan "Tout s’arrange avec un coke" en lettres blanches. Le cercueil de fortune s’égouttait sur une moquette couleur moutarde détrempée, dans ce que Dean supposa être la salle à manger. »
Earl Dean ferait bien demi-tour, mais le chef de famille, un motard ivre et violent, compte d’autant moins le laisser partir qu’il a reconnu en lui Johnny Magic, ainsi qu’on l’appelait à l’époque où il jouait de la musique avec son groupe. Dan Brown, ancienne terreur de la ville, chef d’un gang local de motards, prend donc une décision : Earl Dean va chanter aux funérailles improvisées de son frère, Buddy, le cadavre étendu dans la glacière. Mais avant cela, il va falloir exercer une vengeance, trouver celui qui a tué Buddy.
Commence alors une nuit d’errance dans la vallée pour Earl Dean. Un voyage effrayant aux côtés de Dan et de ses menaçants collègues qui aimeraient bien se débarrasser de celui qu’ils voient comme un témoin gênant. Un voyage dans le temps aussi, pour Earl, qui convoque autant les souvenirs d’un âge d’or de la vallée dont il n’a en fait vu que les derniers reflets, que ceux de sa jeunesse, d’une époque où tout semblait encore possible.
Cette déambulation dans les vapeurs d’alcool, les explosions de violence et, plus que tout, les regrets qui viennent heurter Earl Dean tout au long de la nuit pour peut-être enfin lui permettre de regarder sa vie en face, constitue un récit pétri d’étrangeté, parfois déstabilisant et toujours étonnant. Cette nuit, pour Earl Dean, apparaît ainsi comme une occasion inespérée – impensée jusqu’alors, même – de faire le point sur tous les rendez-vous manqués, les mauvais embranchements pris à un moment ou un autre et qui l’ont mené là.
Kem Nunn arrive à trouver le juste équilibre entre l’introspection et des scènes saturées de violence et, parfois aussi, d’un certain humour noir. Cela fait de La reine de Pomona un de ces romans inclassables dont l’atmosphère et certains passages s’accrochent longtemps au lecteur.
Kem Nunn, La reine de Pomona (Pomona Queen, 1992), Gallimard, La Noire, 1993. Traduit par Jean Esch. 269 p. Rééd. Folio Policier.
Du même auteur sur ce blog : Surf City ; Le Sabot du Diable ; Tijuana Straits ; Chance ;