Les impliqués, de Zygmunt Miloszewski

Publié le par Yan

lesimpliques1erecouv.jpgUn des participants à un séminaire autour de la thérapie de la « constellation familiale » menée par le psychothérapeute Cezary Rudzki est assassiné. C’est le procureur Teodore Szacki, trentenaire désabusé autant par son travail que par la routine dans laquelle s’embourbe son mariage, qui est chargé de l’affaire. Cette enquête est pour lui l’occasion de pimenter un peu son morne quotidien mais aussi de s’interroger sur ses propres attitudes, de fouiller un peu aussi dans l’histoire de Varsovie et de la Pologne d’avant la fin du communisme.

Après un voyage chez les zombies et quelques autres titres faisant place à l’horreur et au polar nordique, les jeunes éditions Mirobole se lancent dans le plutôt dépaysant polar polonais. Du noir polonais, on ne connaissait pour notre part que le premier volet de la série de romans de Marek Krajewski… c’est dire si, a priori, il n’y avait pas là de quoi nous emballer.

Et disons-le, les premières pages des Impliqués ne nous ont pas réconcilié avec la littérature polonaise : une atmosphère lourde et grise, une histoire de psychothérapie un peu absconse qui commence comme un énième whodunit à l’ancienne… pas de quoi sauter au plafond.

Sauf que, en s’accrochant un peu on finit par se faire accrocher soi-même assez rapidement. Passée cette phase d’exposition un peu fastidieuse, Zygmunt Miloszewski se révèle être un peintre doué des sentiments humains et de la ville, Varsovie, dans laquelle il fait évoluer Teodore Szacki. L’enquête du procureur, suivie jour après jour en ce mois de juin 2005, est en effet surtout l’occasion pour l’auteur de mettre en avant ces deux  personnages principaux que sont Szacki et Varsovie, mais aussi les dessous d’un pays de l’Est en voie d’intégration à l’Europe mais encore fortement marqué par son histoire sous le communisme et par la persistance de pratiques datant de cette époque : difficultés au quotidien des classes moyennes, système judiciaire au fonctionnement stalinien où l’on cherche moins à dévoiler la vérité ou rendre la justice qu’à satisfaire aux objectifs statistiques des supérieurs, corruption… et toujours cette mauvaise conscience, ces soupçons hérités d’une sortie du communisme qui a épargné nombre de nervis de l’ancien pouvoir et leur a même offert de confortables places.

Si, en tant que polar, Les impliqués reste une enquête conventionnelle, la plume alerte et élégante de Miloszewski, son attachement à décrire la réalité quotidienne varsovienne et l’épaisseur dont il dote Szacki, honnête fonctionnaire droit dans ses bottes mais insatisfait de sa condition de procureur comme de sa condition d’époux, permet de dépasser ce classicisme de façade pour offrir au lecteur un roman habilement construit et doté d’un charme certain. Ouvrant sans cesse de nouvelles portes, devant Szacki, Miloszewski fait ressurgir les fantômes de l’Histoire, donne chair à la ville et crée une tension constante, un sentiment d’insécurité persistant : chaque nouvelle pièce qui se met en place, en même temps qu’elle renforce la sympathie où à tout le moins l’empathie envers Szacki, met ce dernier dans une position de plus en plus inconfortable, au risque de le voir broyé par ceux qu’il dérange, mais aussi par lui-même, par sa propre vanité, par son désir de s’élever au-dessus de sa condition.  

Au final, s’il souffre sans doute de quelques longueurs, notamment dans une mise en place quelque peu laborieuse, Les impliqués se révèle être un roman intelligent et charmant par la grâce d’une atmosphère originale et de l’habileté de l’auteur à donner corps à la ville et à rendre à ce petit fonctionnaire terne de Teodore Szacki une véritable dimension romanesque. Une découverte des plus agréables.

Zygmunt Miloszewski, Les impliqués (Uwiktanie, 2007), Mirobole Éditions, 2013. Traduit par Kamil Barbarski.

Du même auteur sur ce blog : Un fond de vérité ; La rage ;

Publié dans Noir d'Europe de l'Est

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