La rage, de Zygmunt Miloszewski
Troisième et dernier roman mettant en scène le procureur Teodore Szacki, La rage est une nouvelle fois l’occasion pour Zygmunt Miloszewski de se confronter à la face sombre de la Pologne contemporaine. Après les fantômes de l’histoire, communiste – Les impliqués – ou antisémite – Un fond de vérité – de son pays, le voilà qui s’intéresse à un autre sujet de société tout aussi difficile à regarder en face. Ce sont les violences conjugales qui sont au cœur de ce nouveau récit dans lequel Szacki enquête sur la découverte d’ossements bien trop parfaitement conservés. Très vite, le procureur va s’apercevoir que des maris violents ou des personnes préférant fermer les yeux sur ce qu’il se passe chez leurs voisins sont victimes d’un redresseur de torts. Et si d’ailleurs, Szacki, qui dès le premier chapitre est présenté en train d’assassiner une femme, n’était pas lui aussi une victime désignée pour cet assassin ?
On commence à être habitué au fonctionnement immuable des romans de Zygmunt Miloszewski : des meurtres, le procureur Szacki toujours aussi fier de lui et misanthrope lancé sur la piste de l’assassin et en arrière-plan, le portrait d’une triste ville– ici Olsztyn – reflétant tout ce qui peut clocher dans la société polonaise. On ne s’en lasse pas pour autant. D’abord parce que Zygmunt Miloszewski a le don, un peu plus affuté à chaque fois, pour attraper le lecteur et le retenir grâce à une intrigue rythmée par des coups de théâtre régulièrement disposés et des fins de chapitres accrocheuses incitant à ne pas laisser la lecture en suspens. Mais il ne suffit pas de disposer mécaniquement des éléments pour réussir un roman et Miloszewski s’appuie par ailleurs sur un personnage principal toujours aussi fascinant dont la raideur apparente laisse toujours se dévoiler à un moment une psyché bien plus complexe et de véritables dilemmes moraux. Ajoutons enfin à cela une écriture imagée et teintée du cynisme qu’incarne le procureur Szacki et nous avons là tous les ingrédients d’un page turner efficace et – surtout – intelligent.
Humour noir et distancié, mais aussi réflexion sur la vengeance, la faillibilité de la justice et les violences conjugales dans une société patriarcale et individualiste se mêlent dans un roman qui, plus sans doute que les précédents, a une portée plus large en ce que la thématique en question est universelle. Tirée au cordeau, l’intrigue se déroule avec aisance et entraîne le lecteur.
Avec La rage, Zygmunt Miloszewski a décidemment trouvé son rythme de croisière et un équilibre presque parfait entre les différents éléments du roman (la confrontation avec le « cerveau » de l’opération se révèle tout de même bien tirée par les cheveux, mais on s’en accommodera). C’est aussi là qu’il a décidé de quitter définitivement Téodore Szacki et c’est sans doute une décision raisonnable, tant d’auteurs ayant fini par s’empêtrer avec leurs personnages récurrents dans une mécanique trop bien huilée et répétitive jusqu’à décevoir un peu plus à chaque roman (coucou Michaël Connelly !).
Bref, voilà une manière élégante et réussie de boucler un cycle avec un roman des plus recommandables.
Zygmunt Miloszewski, La rage (Gniew, 2014), Fleuve Noir, 2016. Traduit par Kamil Barbarski. 539 p.
Du même auteur sur ce blog : Les impliqués ; Un fond de vérité ;