L’échappée, de Jim Thompson
Tout juste sorti de prison, Doc McCoy, braqueur alliant intelligence, bagout et une singulière absence de pitié à l’égard de quiconque se mettrait en travers de son chemin, organise avec sa femme, Carol, le hold-up d’une banque dans une petite ville du sud des États-Unis. Rudy, le complice qu’ils se sont adjoint n’entend pas partager le magot. Doc et Carol non plus. Et, de fait, Rudy va devoir rester sur le carreau et Doc et Carol se lancer dans une folle échappée qui va distendre les liens entre eux et créer un profond climat de suspicion et de paranoïa au sein du couple.
Avec cette seconde – après L’assassin qui est en moi – nouvelle traduction intégrale d’un livre de Jim Thompson, les éditions Rivages ont choisi de s’attaquer à un roman sans doute moins connu de l’auteur malgré ses adaptations au cinéma (Guet-Apens, de Sam Peckinpah, avec Steve McQueen et Ali MacGraw, et son remake des années 1990 avec Alec Baldwin et Kim Basinger). Mais nul doute que cette Échappée, pour méconnue qu’elle soit, méritait amplement cette nouvelle édition.
Monument d’efficacité, ce roman allie une action littéralement haletante (pour une fois, l’adjectif n’est pas usurpé) et l’instillation vénéneuse d’une tension qui atteindra son comble dans une fin ambigüe et ouverte qui laisse présager du pire… mais pour qui ?
Entre temps, on aura vu l’amour fou céder peu à peu la place, à mesure que les obstacles s’amoncellent sur le chemin, à une méfiance confinant à la paranoïa qui atteint un sommet dans une éprouvante scène de claustrophobie menée de main de maître par un auteur qui sait se montrer redoutablement efficace avec une impressionnante économie de moyens.
De ces deux personnages dont le désir de paraître comme des rebelles coupant avec les règles communes de la société dissimule bien mal de nets penchants psychopathes, Jim Thompson fait deux héros tragiques dépassés pour l’un par son hubris, et pour l’autre par une réalité bien moins romantique que ce qu’elle l’avait imaginé au moment de quitter sa morne existence d’insignifiante bibliothécaire pour embrasser la vie de bandit de grands chemins. Cette rupture entre ce que Doc et Carol croient être (ou voudraient être) et la moins reluisante réalité les amènera chacun à rejeter plus ou moins consciemment la faute sur l’autre et à craindre de plus en plus la trahison de cet alter ego dans le regard duquel ils ne se reconnaissent plus.
Cette insidieuse et imparable montée de la tension qui va de pair avec l’échec de plus en plus patent d’une fuite qui ne leur laisse aucun répit fait de L’échappée un somptueux et redoutable roman noir.
Un roman qui fait l'unanimité. Si vous ne me croyez pas, faites donc un tour chez les amis Christophe Laurent et Jean-Marc Laherrère.
Jim Thompson, L’échappée (The Getaway, 1958), Rivages/Noir, 2012. Traduit par Pierre Bondil.
Du même auteur sur ce blog : L'assassin qui est en moi ; Liberté sous condition ; Une femme d'enfer ;