Une femme d’enfer, de Jim Thompson
Et Rivages continue donc son travail de retraduction de l’œuvre de Jim Thompson avec cette Femme d’enfer, originellement parue en France à la Série Noire sous le titre Des cliques et des cloaques.
Frank Dillon est vendeur au porte-à-porte. Ni très doué, ni très malin, pas vraiment heureux en ménage, sa vie change le jour où il essaie de vendre sa camelote à la vieille madame Farrell qui lui propose en paiement de quelques pièces d’argenterie de profiter un peu de sa nièce, la jeune et séduisante Mona. Malgré un sens assez mouvant des valeurs, Dillon n’ose pas franchir le pas et se prend même à vouloir protéger Mona. Et quand celle-ci le fait libérer de prison après que son patron l’a fait arrêter pour détournement de fonds et qu’il apprend que madame Farrell dissimule une grosse somme d’argent dans sa cave, Frank Dillon est prêt à basculer.
On retrouve dans Une femme d’enfer tout ce qui fait l’identité des romans de Thompson : petite ville du cœur des États-Unis, esprits étriqués, hommes instables persuadés de leur génie criminel, femmes séduisantes, pas toujours très futées mais souvent vénales. Bref, pas un personnage pour rattraper l’autre, mais pas un non plus que l’on puisse détester en bloc, Thompson arrivant à extirper toujours un peu d’humanité chez les pires monstres. Ainsi en va-t-il de ce Dillon cupide, paranoïaque et d’une bêtise crasse dont les atermoiements sentimentaux ne peuvent qu’éveiller chez le lecteur un peu de compassion faute de sympathie, ou de Joyce, l’épouse pas beaucoup mieux lotie question intelligence et profondeur des sentiments.
Nous conviant à assister à la prévisible et imparable chute de Dillon et de ceux qui l’entourent, Thompson joue sa partition avec brio en nous faisant peu à peu entrer dans l’esprit tourmenté de son personnage incapable de vivre sans une femme à ses côtés tout en se persuadant que Joyce comme Mona sont bel et bien des traînées déterminées à se jouer de lui. Tout cela jusqu’à une scène finale à l’écriture hachée, hallucinée, qui vient conclure avec violence et frénésie cette histoire particulièrement noir. Bref, au milieu de la production pléthorique de Thompson en ce début des années 1950 (le roman date de 1954), Une femme d’enfer apparaît comme l’un des romans les plus sombres et dérangeant de l’auteur ; un bouquin dont il serait dommage de passer à côté.
Jim Thompson, Une femme d’enfer (A Hell Of A Woman, 1954), Rivages/Noir, 2013. Traduit par Danièle Bondil.
Du même auteur sur ce blog : L’assassin qui est en moi ; L’échappée ; Liberté sous condition ;