Gun Machine, de Warren Ellis
D’aucuns pourraient être dubitatifs en voyant un scénariste de Marvel comics se mettre au polar. Moins peut-être s’ils savent que Warren Ellis est aussi le scénariste de la bande dessinée RED adaptée il y a quelques années au cinéma avec Bruce Willis, John Malkovich ou encore Helen Mirren et Morgan Freeman dans laquelle des agents de la CIA à la retraite et pas tous très équilibrés tentent d’échapper à des tueurs de l’agence. Car c’est bien cette ambiance, très comics, très série B, que l’on va retrouver dans Gun Machine.
On est ici à New York avec John Tallow, archétype du flic de roman, solitaire, désabusé, un léger penchant pour l’alcool et la provocation, qui voit lors d’une intervention banale son coéquipier se faire descendre par un forcené sous anabolisants. En vidant son chargeur sur celui qui a abattu son collègue, Tallow troue le mur d’un appartement voisin dans lequel il découvre des centaines d’armes, dont beaucoup sont anciennes. Les premières analyses de cet arsenal révèlent que toutes ces armes ont été utilisées dans des meurtres non élucidés. De quoi faire chuter les statistiques de la police de New York et valoir à Tallow, malchanceux découvreur, une haine tenace de la part de ses collègues. C’est seul, puis avec l’aide de deux membres de la police scientifique aussi déséquilibrés que lui que Tallow se lance donc à la recherche de celui qui collectionne ces armes et, semble-t-il, aime à s’en servir.
Se plaisant à utiliser les archétypes du polar urbain – le flic solitaire en rupture, les scientifiques complètement tarés et obsédés, le tueur aussi fou qu’impitoyable, les chefs de la police essayant de préserver leurs postes, d’enterrer une affaire embarrassante et de préserver leurs amis chefs d’entreprises – Warren Ellis réussit à écrire un polar bien balisé par l’utilisation de ces codes tout en les distordant juste assez pour en faire quelque chose de nouveau.
Cela tient essentiellement à l’utilisation parallèle de procédés qui relèvent de l’autre carrière d’Ellis, celle de scénariste de comics. Ainsi instille-t-il dans son roman une atmosphère particulière due à une légère déformation de la réalité. Les flingues font plus de bruit, la violence – rappelée par la longue litanie des interventions de la police sur des faits divers atroces que crache sans cesse la radio de la voiture de Tallow – est omniprésente et sans conteste bien supérieure à la réalité quotidienne, le tueur, schizophrène, évolue entre deux New York, tout comme Tallow lorsqu’il découvre deux réalités cartographiques de New York se superposant grâce au réseau mis en place par une entreprise qui n’est pas sans rappeler dans une certaine mesure l’OCP de Robocop.
Tout cela donne à Gun Machine une réelle originalité et en fait un excellent divertissement porté par une histoire débridée au service de laquelle se met une écriture pas foncièrement extraordinaire mais efficace et bourrée d’humour. Bref, de quoi passer un très bon moment de lecture sans prise de tête. Un roman popcorn qui fait plaisir à lire.
Warren Ellis, Gun Machine (Gun Machine, 2013), Éditions du Masque, 2014. Traduit par Claire Breton.
Du même auteur sur ce blog : Artères souterraines ;