Artères souterraines, de Warren Ellis
Après avoir lu le plutôt réjouissant Gun Machine, c’est avec curiosité que l’on a ouvert Artères souterraines, premier roman du scénariste de comics britannique Warren Ellis dont bien des gens semblaient s’accorder sur le fait qu’il était encore meilleur que le deuxième.
De fait, si Gun Machine propulsait le lecteur dans une New York de monde parallèle, l’Amérique d’Artères souterraines se révèle encore plus grotesque et absurde tandis que l’intrigue se trouve être elle aussi encore plus échevelée. L’on suit donc les pérégrinations du détective privé poissard Michael McGill embauché par le secrétaire général de la Maison Blanche pour retrouver un exemplaire de la seconde Constitution des États-Unis ; un document secret contenant « vingt-trois amendements qui ne peuvent être lus que par le président, le vice-président et le chef de cabinet. C’est un petit volume écrit à la main et soi-disant relié avec la peau d’une entité extra-terrestre qui aurait inspecté le cul de Benjamin Franklin pendant six nuits à Paris, au cours d’un de ses voyages en Europe. Mais Benjamin Franklin n’était pas qu’un auteur nunuche qui se contentait d’écrire des romans sentimentaux sur des aliens lui insérant des objets dans le rectum, tu sais. Le septième soir, il s’est rebellé et a tué le petit enculé d’un seul coup de poing. »
Le décor est donc rapidement posé. Situé dans une Amérique dirigée par un gouvernement évoquant celui de George W. Bush et dont la société demeure obsédée par le sexe, la religion et la haine de l’étranger, il se révèle caricatural, tordu, pour tout dire très proche justement de l’univers des comics. On croisera donc personnages et situations outranciers : groupes d’hommes se réunissant pour se masturber devant des vidéos pornographiques mettant en scènes des lézards géants, cuistots texans forçant leurs clients à manger des demi-bœufs quasiment crus ou hôtels offrant à leur clientèle des sex toys à l’effigie de Jésus Christ.
Dans ce monde apparemment décadent, McGill, accompagnée de la très libérée Trix, se lance donc à la recherche du livre censé rendre à l’Amérique ses véritables valeurs morales selon le gouvernement en place. C’est là le fil du scénario d’Ellis qui, sous la caricature, entend poser la question de la liberté de pensée et d’agir, et des limites qu’il convient à chacun de se poser. Cela n’a rien de bien révolutionnaire et Warren Ellis prend surtout soin, grâce à ses deux personnages principaux, de ne pas prendre parti, révélant sous le vernis de la provocation une position finalement très consensuelle (en gros, chacun peut faire ce qu’il lui plaît mais doit faire attention à respecter les choix des autres).
En fin de compte, si l’on ne lira pas Artères souterraines pour y trouver une critique sociétale construite et réellement réfléchie et si la constante surenchère dans l’outrance peut finir par lasser, les trouvailles de l’auteur, bien qu’inégales, et son humour rendent le livre sympathique et indéniablement amusant. Une lecture à prendre pour ce qu’elle est, un divertissement échevelé, plus que pour ce qu’elle voudrait être ou que d’aucuns voudraient qu’elle soit, une sorte de caricature pamphlétaire sur l’Amérique.
Warren Ellis, Artères souterraines (Crooked Little Vein, 2007), Au Diable Vauvert, 2010. Rééd. Le Livre de Poche, 2014. Traduit par Laura Derajinski.
Du même auteur sur ce blog : Gun Machine ;