Banditi, d’Antoine Albertini
Quelques mots en préambule : je me suis posé la question, à l'heure où les librairies sont fermées, de l'opportunité de chroniquer ici des livres récents. Il va de soi que je ne publierai pas de chroniques sur des romans dont la sortie est reportée sine die. Pour les autres, ceux qui, comme Banditi ou d'autres, ont la malchance de paraître en ce moment, je vous rappelle qu'ils peuvent être achetés sous leur format numériques sur des sites de libraires indépendants. Et je me ferai par ailleurs un plaisir de faire de la retape pour ceux, comme celui-ci, que j'ai aimé dès que nous retrouverons une situation normale.
Toujours à la recherche d’un vrai bon café et de d’un semblant d’estime de soi, le policier du bureau des homicides simples que l’on avait découvert l’an dernier dans Malamorte est de retour, reconverti en détective privé.
Au moment où un vieux parrain corse succombe à une bête piqûre d’abeille, notre héros (?) est contacté par ami, ancien militant nationaliste, pour retrouver son oncle qui n’a plus donné signe de vie depuis quelques jours. Mais ce qui semble être la simple fugue d’un vieillard désorienté ressemble vite à la chute d’un premier domino qui va en entraîner bien d’autres. Alors que nationalistes et autonomistes, arrivés au pouvoir depuis quelques années mais engluées dans leurs anciennes alliances et guerres internes, ne semblent pas pouvoir redresser la barre d’une île à la dérive, l’enquête fait ressurgir de vieux démons.
Débarrassé de l’ambiance grise, morne et pluvieuse de Malamorte, Banditi n’en est pas moins sombre. L’enquête qui est menée là, avec ses multiples ramifications, géographiques et temporelles – des années de plombs italiennes au passage de la clandestinité à la prise de pouvoir politique en passant par la guerre fratricide des années 1990 – fait apparaître les différentes forces à l’œuvre, divergentes ou convergentes ou qui, comme des mouvements tectoniques, se frottent, coincent puis finissent par céder. S’enchevêtrent ici les alliances et mésalliances entres nationalistes et Milieu, coups montés par l’État, dettes anciennes que l’on fait payer longtemps…
Si cette partie, ce cœur du roman, tient ses promesses en se déployant pour révéler toujours de nouveaux éléments qui viennent éclairer l’intrigue, elle reste assez classique dans sa forme. Ce qui vient faire de Banditi autre chose qu’un polar à la trame éprouvée, c’est la manière dont Antoine Albertini, à travers le regard épuisé et désabusé de son personnage, parle de la Corse aujourd’hui. Tiraillée entre le désir de préserver une identité particulière et en partie mythifiée et la nécessité de faire avec un État défaillant et un pouvoir local qui ne l’est pas moins, enferrés qu’ils sont l’un comme l’autre dans positions de principes et des dogmes autant que dans les turpitudes d’un passé qui ne cessent d’irriguer le présent, l’île semble ici se déliter. Et on le sent littéralement avec les personnages à l’évocation des amoncellements d’ordures et des rats dodus qui cheminent entre les sacs éventrés. L’amour et la colère se mêlent ici et disent toute la complexité de cette situation. Dans ce tableau désenchanté, l’humour à froid d’Albertini et des lignes finales violentes et émouvantes apportent néanmoins la lueur d’un hypothétique espoir.
Antoine Albertini, Banditi, JC Lattès, 2020. 300 p.
Du même auteur sur ce blog : Malamorte ; Les invisibles ;