Les Invisibles, d’Antoine Albertini

Publié le par Yan

On a découvert ici Antoine Albertini, romancier, avec Malamorte. Place au journaliste avec son précédent livre, Les Invisibles, paru en 2018.

Le 16 novembre 2009, El Hassan Msarhati est abattu d’une balle en pleine tête par un tireur qui a surgi derrière lui tandis qu’il marchait sur une route de campagne de la plaine orientale corse. Qui était El Hassan Msarhati ? Qui pouvait vouloir l’abattre comme un chien ? Et pourquoi ? C’est pour tenter de répondre à ces questions qu’Antoine Albertini a suivi cette affaire des années durant.

Msarhati, on l’apprend vite, est un travailleur clandestin parmi des centaines d’autres qui travaillent dans les exploitations agricoles corses. Avant de se faire imposer définitivement le silence, il était aussi une grande gueule. Du moins avait-il dénoncé devant une caméra de télévision les conditions de vie de ces Invisibles dont il faisait partie. Ces Arabes qui, pour des salaires de misère, travaillent la terre des exploitants locaux, récoltent, taillent les vignes… et qui survivent dans des conditions indignes. Ils sont partout mais se dissimulent et, d’une manière générale, on évite de les voir.

On évite de les voir, comme l’explique d’une manière limpide Antoine Albertini, parce que les voir voudrait dire commencer à les considérer. D’abord comme des clandestins, ce qui veut dire les renvoyer chez eux, ce qui n’arrangerait pas l’économie locale et gênerait donc aussi les autorités qui évitent tout zèle excessif. Ensuite comme des humains, ce qui signifie qu’alors, on devrait se soucier de leurs conditions de vie, ce qui est tout aussi gênant.

Le dossier du meurtre de El Hassan Msarhati est donc prétexte à dévoiler le fonctionnement d’une frange de l’économie corse et ses conséquences sociales – et plus généralement humaines dans toute sa complexité. De toute évidence assez remonté – à raison – contre les raccourcis de certains de ses collègues continentaux, Antoine Albertini déroule méthodiquement le fil de l’enquête et, parallèlement, le portrait d’une part de la société corse. Il décrit le racisme, bien entendu, qui existe, mais aussi les solidarités qui existent entre Corses et clandestins au nom, tout simplement, de l’humanité, du devoir de porter de l’aide son prochain. Il décrit aussi la manière dont fonctionne cet inframonde des travailleurs clandestins, avec ses hiérarchies et, partant, la manière dont certains dominent et profitent des autres. En filigranes apparaissent aussi les tensions démographiques et sociales de l’île, la manière dont les brassages de populations – clandestins, mais aussi continentaux venus chercher un hypothétique moyen de vivre leur misère au soleil, et bien entendu Corses – agissent en certains lieux et notamment dans cette plaine orientale comme des catalyseurs de tensions qui finissent parfois en drames.

La plume d’Antoine Albertini, claire, vive, rend son essai particulièrement prenant et ce d’autant plus qu’il traite de son sujet de manière charnelle. On n’est pas là face à un dossier de police ou une enquête sociologique sans âme, mais face à des humains, à leurs trajectoires chaotiques, à la complexité de leurs personnalités et de leurs sentiments. C’est à la fois instructif, édifiant et passionnant.

Antoine Albertini, Les Invisibles, Éd. JC Lattès, 2018. 201 p.

Du même auteur sur ce blog : Malamorte ; Banditi ;

Publié dans Essais

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