Malamorte, d’Antoine Albertini
Dans une résidence bastiaise, un entrepreneur abat sa fille et sa femme avant de tenter de se suicider, une joggeuse est retrouvée morte en bordure d’un sentier de randonnée… Les deux affaires échoient à un capitaine de police placardisé. Pour avoir en son temps un peu trop voulu faire son travail au risque de gêner sa hiérarchie, il est devenu le seul membre de l’effectif du Bureau des homicides simples ; une place qui lui permet de prendre de longues pauses pour se ravitailler en bière et chercher désespérément un café potable. Le « drame familial » est une affaire pliée d’avance, le meurtre de Paola Mosconi, la joggeuse, est un peu plus complexe mais lui est assigné par défaut, faute d’effectifs suffisants. Le risque, cependant, c’est que même cantonné à des affaires minables, le policier lève quelques lièvres embarrassants.
Pour son premier roman, Antoine Albertini, journaliste, correspondant en Corse du Monde, choisit le polar et s’emploie à en respecter un certain nombre de codes : le flic intègre à la dérive tiraillé par son passé, une hiérarchie qui lui met des bâtons dans les roues pour des motifs obscurs, les affaires qui s’imbriquent… C’est certainement ce qui a valu à Malamorte d’être comparé à un roman d’Ellroy – époque Lloyd Hopkins, sans doute. Mais si une certaine influence d’Ellroy – et d’autres encore – est peut-être là, Antoine Albertini fait surtout du Albertini. Et tant mieux.
D’abord en parlant de lieux – et sans doute d’un certain nombre de personnages – qu’il connaît, ce qui lui permet de tenir les poncifs à distance. Ces lieux, d’ailleurs, il choisit de les montrer autrement que de la manière dont on les voit habituellement avec tous les clichés qui y sont attachés. Ce n’est pas la Corse des touristes et des plages, ni celle, archétypale, des nationalistes ou des bandits qui courent le maquis. C’est celle de l’hiver et, en l’occurrence, une île et une ville, Bastia, sous un déluge permanent qui vient encore renforcer la sensation d’enfermement.
« Les intempéries avaient rendu l’île à ses angoisses hivernales, ces longs mois où la pire des malédictions nous tombait dessus : nous retrouver seuls avec nous-mêmes, prêts à laisser parler nos instincts cannibales, à nous entre-dévorer à la première occasion. »
Ensuite, Antoine Albertini use d’une plume bien à lui, évocatrice, précise et imagée sans pour autant verser dans le lyrisme. Son écriture, adaptée à son personnage, permet de tenir une certaine distance vis-à-vis du sujet en évitant cependant un récit clinique et dénué d’émotions. Derrière le cynisme affiché de son personnage transparaît un amour réel des lieux et des gens. C’est cela qui rend par ailleurs la critique d’autant plus juste et acérée. Sur une île au sous-développement économique chronique, mieux vaut traquer le supposé terroriste, au prix de quelques bavures ou embastillements que la raison d’État couvrira pudiquement, que des bandits au col à peine blanc dont la révélation d’un certain nombre de leurs liens au sein de diverses administrations pourrait finir par s’avérer gênante.
Ainsi, derrière l’enquête bien menée mais relativement classique pour les habitués du genre, ce sont des lieux et des personnages, avec leurs contradictions, leur duplicité parfois aussi, qui prennent chair dans une ambiance de fin du monde, et peut-être d’une certaine manière de fin d’un monde… à moins que ce soit, en fin de compte toujours le même, pourri jusqu’à la moëlle, sous un nouvel avatar, qui se profile.
Tout cela donne un très bon roman noir et permet, pour ceux qui ne le connaissaient pas, où qui ne le connaissaient jusqu’à présent qu’à travers ses articles journalistiques et ses essais, de découvrir une autre facette, riche de promesses, d’Antoine Albertini.
Antoine Albertini, Malamorte, JC Lattès, 2019. 361 p.
Du même auteur sur ce blog : Les Invisibles ; Banditi ;