La science de l’esquive, de Nicolas Maleski
Un jour d’été, Kamel Wozniak descend d’un bus dans un village sis sur un causse du sud de la France. Kamel Wozniak fuit. Avec sa tête de boxeur, il détonne dans le paysage. C’est pourquoi il entend bien se terrer dans le meublé qu’il a loué pour les deux mois à venir. Mais peut-on vraiment adopter un profil bas, esquiver les regards, ne pas susciter la curiosité, dans une si petite ville ?
L’échappée de Kamel, au moment où on le rencontre, se transforme donc en cavale immobile. Pire, l’homme semble s’engluer dans ce lieu qui n’est censé être qu’une étape vers un refuge bien plus lointain. C’est que les éléments semblent se liguer contre lui. Il y a d’abord Richard, le propriétaire de la maison que loue Wozniak. Homme seul, désemparé, alcoolique, bavard et intrusif. Il y ensuite Kevin que Kamel sauve de la noyade et qui, avec sa bande de copains cultivateurs de cannabis, voudrait faire adhérer son sauveur à un projet plus grand. Il y aussi Soraya la gendarmette amicale et curieuse, et Laure la séduisante et mystérieuse voisine.
Chacun à sa manière ancre un peu plus Kamel en ces lieux sans que l’on sache jusqu’à quel point cela le dérange véritablement et s’il est vraiment prêt pour la fuite qu’il avait prévue. Que fuit-il d’ailleurs ? Quel crime a-t-il commis ? C’est là le grand mystère dont l’ombre plane sur le roman. Et ce d’autant plus que le personnage apparaît toujours plus aimable au fur et à mesure que l’on avance dans la lecture. S’il est de toute évidence méfiant envers les autorités, s’il porte un regard moins acerbe que caustique sur la plupart des gens qui se mettent à graviter autour de lui, Kamel Wozniak se fait de plus en plus attentif aux autres, de plus en plus tendre, aussi. Ainsi, petit à petit, le masque se délite, jusqu’à disparaître et laisser place à une réalité crue.
Le tour de force de Nicolas Maleski dans ce roman consiste avant tout à jouer constamment le contre-pied. L’incertitude qu’il crée sur le passé de Kamel, sur ses projets, mais aussi sur ce que les autres peuvent percevoir chez lui, permet à l’auteur de conserver une tension constante qui n’est d’ailleurs jamais pesante. D’autant plus que la manière dont les rencontres s’enchaînent, dont sont révélées progressivement les failles et les projets de chacun des personnages, mais aussi dont Kamel se trouve entraîné chaque fois un peu plus loin dans leur intimité, relève d’un humour pince-sans-rire particulièrement réjouissant sans que, pour autant, il vienne dissiper la tension.
Ce subtil équilibre fait de La science de l’esquive un pur roman noir en même temps qu’une formidable comédie de mœurs qui parle on ne peut mieux de l’impossibilité de disparaître, de la recherche d’une liberté fantasmée, de la manière aussi dont une vie bascule. De trahison aussi, d’amour, d’amitié et du prix à payer pour se débarrasser de nos chaînes. Une très bonne surprise de cette rentrée de janvier.
Nicolas Maleski, La science de l’esquive, Harper Collins, Traversée, 2020. 217 p.
Du même auteur sur ce blog : La force décuplée des perdants ;