Coup de vent, de Mark Haskell Smith
« Bryan LeBlanc n’avait jamais vu une telle bande de trous du cul.
Certes, ils étaient bosseurs et intelligents, ces battants qui trimaient quatre-vingts heures par semaine sans jamais se plaindre. Ils restaient assis à leur bureau des journées entières à regarder les images clignoter et défiler sur leurs moniteurs, alignés dans l’open space telles des vaches laitières branchées à des machines qui leur pompaient la vie du corps. Et ils adoraient ça. »
C’est évident, Bryan LeBlanc a d’autres ambitions que ses collègues traders de Wall Street. Il en a en fait une seule : vivre. Libre de préférence. Mais attention, il n’est du genre à se construire une cabane dans les bois et à chasser sa nourriture. Non, Bryan LeBlanc veut vivre libre et riche. Assez pour pouvoir naviguer sur les océans en mangeant du fromage et en buvant du vin. Un programme tout à fait honorable en soi mais qui nécessite néanmoins quelques entorses aux règles dont la première est de détourner 17 millions de dollars à la banque dont il est employé afin de pouvoir disparaître dans les Caraïbes. Bien entendu, la banque en question ne l’entend pas de cette oreille et lance aux trousses de son employé indélicat Seo-yun, sa collègue surdouée, et Neal Nathanson, limier de la compagnie habituellement chargé de mettre la main sur des clients indélicats. Neal que l’on découvre dès les premières pages, rescapé d’un naufrage et en possession de sacs remplis de billets.
Comment en est-on arrivé là ? C’est ce que va nous raconter Mark Haskell Smith dans Coup de vent, roman échevelé porté par un humour dévastateur. Près de 250 pages durant, l’auteur décrit donc cette course à la liberté de la plupart de ses personnages. Bryan, bien entendu, qui se rend compte que, aussi préparée que soit sa fuite, le parcours est semé d’embûches, Seo-yun qui découvre à travers la traque de Bryan à quel point sa vie a jusqu’alors été un carcan duquel elle désire dorénavant se libérer, et même Neal qui, aussi conformiste soit-il, peut effleurer un moment l’idée de passer à autre chose. Ajoutons à cela un détective nain au sex-appeal étonnant, un artiste raté qui aimerait faire main-basse sur l’argent de Bryan pour se la couler douce dans un Paris fantasmé, une navigatrice en solitaire désireuse de se libérer de ses sponsors, et vous avez tous les ingrédients d’un de ces réjouissants jeux de massacre dont Mark Haskell Smith est coutumier. Cela pourrait d’ailleurs n’être que ça et ça serait déjà bien, mais Haskell Smith, en filigrane, sans grandes démonstrations, sans discours lénifiant, concocte aussi une ode à l’émancipation, à la recherche du bonheur dans un monde formaté. Auteur hédoniste et sans illusion sur le monde dans lequel nous vivons, Mark Haskell Smith nous invite donc avec Coup de vent, à jouir un peu du moment présent et, durant ces quelques heures de lectures, c’est ce que l’on fait avec un plaisir non dissimulé.
Mark Haskell Smith, Coup de vent (Blown, 2018), Gallmeister, 2019. Traduit par Julien Guérif. 249 p.
Parution le 5 septembre 2019.
Du même auteur sur ce blog : Salty ; Ceci n'est pas une histoire d'amour ; Défoncé ;