Hével, de Patrick Pécherot
En janvier 1958, Gus et Maurice se la jouent Salaire de la peur discount en convoyant des cageots de légumes et diverses marchandises industrielles à travers le Jura dans un camion fatigué. Janvier 1958, c’est aussi le cœur de la guerre d’Algérie. La Bataille d’Alger s’est terminée, mais les fellaghas tiennent le maquis et profitent de bases arrières en Tunisie et au Maroc. Côté armée française la gégène tourne encore. En métropole, y compris dans ce Jura pris dans la glace et la neige, des heurts entre bons français et ouvriers algériens ont lieu et virent régulièrement à la ratonnade. Gus et Maurice le voient et Gus y participe même un peu. Et puis il y a Pierre, le vagabond sans passé qui croise le chemin des deux camionneurs. Soixante ans après, Gus se confie à un journaliste sur cet hiver 1958 et sur un meurtre oublié et qui aurait à son goût dû le rester.
Nouvelle période pour Patrick Pécherot après ses romans sur la France de la première moitié du XXème siècle et Une plaie ouverte, qui prenait place durant la Commune. Ce qui ne change pas, par contre, c’est le plaisir de la langue, le désir de Pécherot de coller au parler populaire de l’époque qu’il décrit, et aussi, surtout, sa façon de jouer avec les apparences et d’aller chercher sous la pellicule du visible les vérités dissimulées et complexes. Ainsi joue-t-il ici du contraste entre le récit de Gus, personnage double, brave gars d’apparence, peut-être plus retors en fait, et ceux de Pierre et Simone qui révèlent peu à peu une autre histoire dans l’histoire. Une autre histoire qui est en fait l’histoire centrale, celle autour de laquelle Gus tourne sans vouloir réellement la mettre en lumière avant d’avoir pu se justifier.
Ce faisant, Patrick Pécherot livre là un roman d’aventure, sorte de road-movie glacial dans des villes mornes, et un roman historique qui dit avec subtilité les tensions qui agitent les populations qui vivent le conflit à distance, qui le payent par la mort de leurs proches de l’autre côté de la Méditerranée ou parce que de ce côté-là ils incarnent à leur manière l’ennemi invisible qui se cache là-bas. Surtout il dit la nature fluctuante et protéiforme de la vérité. Et la vérité qui prend peu à peu forme ici à travers les récits croisés des personnages a cela d’intéressant que, jusqu’au bout, elle n’apparaîtra justement que comme une vérité parmi d’autres et donc, aussi, à sa manière, un mensonge parmi d’autres quand bien même en émergent des faits tangibles.
Bien mené, bien écrit et intelligent, Hével confirme s’il en était encore besoin à quel point Pécherot est aujourd’hui le meilleur écrivain français de roman noir historique.
Patrick Pécherot, Hével, Gallimard, Série Noire, 2018. 209 p.
Du même auteur sur ce blog : Tranchecaille ; Boulevard des branques ; Une plaie ouverte ; L'homme à la carabine ;