Une plaie ouverte, de Patrick Pécherot
Si on aime le roman noir historique qui a trait à l’histoire française contemporaine, impossible de passer à côté de Patrick Pécherot depuis qu’à l’orée des années 2000 il s’est lancé dans sa trilogie du Paris de l’Entre-deux-guerres avant d’enchaîner sur la Première Guerre mondiale avec Tranchecaille et les milieux anarchistes du début du XXème siècle (L’homme à la carabine). On recule encore un peu avec cette Plaie ouverte qui s’étend de la Commune de Paris à 1905 en passant par l’Affaire Dreyfus.
Ici donc, on s’attachera aux pas de Marceau, communard proche des milieux artistiques de l’époque lancé à la recherche, obsessionnelle, du mystérieux Dana. Révolutionnaire ? Membre du peloton d’exécution qui a œuvré rue Haxo pendant la Semaine sanglante ? Truand et truqueur ? Nul ne sait qui est vraiment cet homme dont on dit qu’il aurait fui vers l’Amérique.
« C’est une sacrée histoire que celle-là. Vraiment. Pourtant, espérer qu’il la raconte serait aussi vain qu’attendre le retour d’un mort. L’homme, s’il a existé ailleurs que dans la fumée d’une pipe ou les sornettes d’un vieux, on se contentera d’en chercher la trace. Rien, ou presque, ne garde son empreinte. À croire qu’il marchait sur des semelles de vent. Comme l’autre, qu’il aurait connu jadis et qui, pareillement, a tout brûlé derrière lui. »
C’est à la recherche d’un spectre que semble s’être lancé Marceau. Mais aussi, plus largement, des fantômes de son passé. De l’exaltation et de l’amour vécus avec sa bande d’amis, avec Manon, avec Jules Vallès, avec Maxime Vuillaume, avec Paul Verlaine et Gustave Courbet, mais aussi du traumatisme d’une insurrection manquée et du sang versé alors.
Enquête éclatée, à l’image des souvenirs brouillés par le laudanum qui fait encore avancer Marceau, Une plaie ouverte surprend dans sa construction et joue avec intelligence de cette figure spectrale de Dana, nimbant le récit d’une touche qui peut aussi bien être de la folie, que du mythe ou du fantastique. Et puis, ce faisant, comme à son habitude, sans effets de manche, Patrick Pécherot fait revivre des époques, tâche d’en tirer l’essence, en se plaçant au milieu des hommes. Il y a la langue, bien sûr, le parler populaire rendu avec subtilité, les scènes de vie – ou de mort – qui s’impriment sur la rétine du lecteur : le bouillonnement de la Commune, le violent retour à l’ordre et l’apparition d’une nouvelle forme de fabrication de mythe avec la naissance du cinéma que l’on suit aux côté de l’ami de Marceau, Charles Pathé. Et les premiers westerns arrivés des États-Unis et vite suivis par le Wild West Show de Buffalo Bill.
Étonnant, parfois déstabilisant mais toujours d’une impressionnante justesse, Une plaie ouverte marque, quatre ans après L’homme à la carabine, le réjouissant retour de Patrick Pécherot.
Patrick Pécherot, Une plaie ouverte, Gallimard, Série Noire, 2015.
Du même auteur sur ce blog : Tranchecaille ; Boulevard des branques ; Hével ; L'homme à la carabine ;