Braconniers, de Tom Franklin

Publié le par Yan

Si la réédition de Braconniers, recueil de dix nouvelles initialement publié en France en 2001, est l’occasion de (re)découvrir celui qui n’était alors pas encore l’auteur de La Culasse de l’Enfer, elle est aussi certainement le signe d’un certain désamour français vis-à-vis des textes courts. Car sinon, ce livre n’aurait-il pas eu droit à une édition de poche ? Celle-ci aurait été d’autant plus méritée que les nouvelles de Franklin sont particulièrement belles et méritent amplement de rencontrer un bien plus large public. Même l’avant-propos de l’auteur, à sa manière, en est une. Peut-être même l’une des meilleures du livre, d’ailleurs, tant ce qu’il y dévoile de lui, de son travail, de son lien avec les lieux dont parlent ses histoires, y est décrit avec justesse et émotion.
Braconniers, donc, ce sont dix histoires ancrées dans l’Alabama de Tom Franklin, quelque part au sud de l’État, entre forêt, bayous et océan. Les neuf premières nouvelles de ce recueil voient s’entrecroiser les destins tristement banals mais toujours marqués par quelque drame que l’on n’a pas vu venir ou d’épiques et fugaces moments de grâce, de ceux qui font que, malgré toutes ses avanies, la vie vaut d’être vécue. Ce sont neufs nouvelles qui se répondent, se font écho, où l’on retrouve les mêmes femmes et les mêmes hommes occupant chacun leur tour le devant de la scène.

Histoires de beuveries qui tournent au ridicule ou à la tragédie, histoires aussi d’un monde qui semble s’enfoncer, entrainant avec lui ceux qui vivent encore là et ne semblent plus rien attendre de lui, si ce n’est de le quitter, chacun à sa manière. L’omniprésence dans les histoires de Franklin de ce kudzu, plante parasite qui étouffe peu à peu l’ensemble de la végétation et recouvre le moindre relief, est certainement la plus saisissante métaphore de cet effacement. Une réaction à cet état de fait, est le braconnage, le refus des règles, omniprésent ici, y compris chez les représentants de la loi… on prend des chemins de traverse pour essayer de fuir, on dérobe quelques instants de satisfaction ou la possibilité de renverser l’ordre établi, ne serait-ce que temporairement, on cherche une arme pour aider un ami… Alcoolisme, frustration sexuelle et rêves de grandeurs se mêlent et se heurtent. On retiendra particulièrement le terrible engrenage de l’ouvrier de la nouvelle « Granulat », payant pour ses errements et pour avoir cru à la possibilité de s’extraire un peu de sa condition en oubliant qu’il abandonnait un maitre pour entrer sous la coupe d’un autre, la très émouvante « Chevaux bleus », la dérangeante « Ballade de Duane Juarez » et le meilleur moyen d’acquérir un rhinocéros empaillé (« Dinosaures »).

Autant d’histoires qui nous mènent jusqu’à la longue nouvelle qui clôt ce recueil et lui donne son titre : une éprouvante chasse à l’homme entre forêt et marais suite au meurtre d’un garde-chasse. On discerne aussi là comme les prémices littéraires de La Culasse de l’Enfer et on retrouve une grande partie des thèmes chers à Franklin : la transmission, la fin d’un monde que l’on peut parfois regretter parce que, tout simplement on y était habitué mais qui n’était pas particulièrement plus beau que ce que le nouveau propose (ce dernier ne suscitant par ailleurs pas forcément l’enthousiasme). Tout chez Franklin est ainsi ambivalent, bien loin de tout manichéisme et, surtout, toujours d’une grande justesse. Chaque mot est pesé, aucune scène n’est innocente et le diable, toujours, se cache dans les détails. C’est ce qui fait la grande richesse de ce formidable recueil.

Tom Franklin, Braconniers (Poachers, 1999), Albin Michel, 2001. Rééd. 2018. Traduit par François Lasquin. 275 p.

Du même auteur sur ce blog : La Culasse de l’Enfer ; Le retour de Silas Jones ;

 

Publié dans Noir américain

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