La Culasse de l’enfer, de Tom Franklin
C’est au début des années 1890 qu’a eu lieu, après des élections contestées, la guerre dite de Mitcham, dans le comté de Clarke en Alabama. Plus que d’une guerre, il s’agit en fait d’un conflit local entre des métayers pauvres de Mitcham Beat, partie rurale du comté, se sentant dépréciés et humiliés par les pontes locaux du parti démocrate et les notables locaux. Ayant fondé une société secrète – Hell-at-the-Breech, la Culasse de l’enfer – ces paysans s’en prirent à quelques noirs et, surtout, au représentant du parti démocrate qui fut assassiné, entraînant une violente riposte de la part des autorités.
C’est sur ce canevas que brode Tom Franklin, situant son action dans le comté de Clarke et plus particulièrement à Mitcham Beat, se servant des faits réels, mais les situant un peu plus tard et y ajoutant des personnages issus de son imagination qu’il mêle à ceux qui ont réellement existé et participé à la Mitcham’s War. Partant de l’assassinat d’un épicier de Mitcham Beat, Tom Franklin démêle ainsi peu à peu l’enchaînement des événements qui vont amener à un inéluctable déferlement de violence dû autant aux circonstances particulières qui le permettent qu’à la vanité et à la soif de pouvoir des meneurs des deux camps qui, ajoutant régulièrement de l’huile sur le feu, entretiennent les craintes, la suspicion et, partant, la haine.
Mais le véritable tour de force de l’auteur, en s’attardant sur les personnages même secondaires pour conférer à chacun une ambiguïté qui va de pair avec l’humanité, est de ne jamais se laisser aller à porter un jugement définitif sur les actes des uns ou des autres. Ce faisant, il fait vivre un monde qui n’est certes pas idyllique mais dans lequel existent une réelle sociabilité et une vraie solidarité fut-elle seulement de caste.
Au milieu de ce conflit, le shérif Billy Waite, homme droit vivant son travail de représentant de la loi comme un véritable sacerdoce et que les événements mènent à se poser la question de savoir jusqu’où son sens du devoir peut aller sans contrevenir à sa conscience de la justice, et de Mack Burke, adolescent tenaillé par la culpabilité, sont les figures qui émergent. Îlots d’honnêteté voire, dans un certain sens, de rectitude morale sans pour autant être des parangons de vertu, au milieu de la folie qui agite le comté, ils sont ceux qui, finalement, rachètent en partie les errements des autres.
Tom Franklin livre avec La Culasse de l’enfer un de ces rares romans qui arrivent à concilier l’action, l’étude de mœurs et une véritable poésie dans l’écriture pour offrir au lecteur une oeuvre à la fois épique et intimiste. Voilà donc une lecture plus que recommandable.
Tom Franklin, La Culasse de l’enfer (Hell at the Breech, 2003), Albin Michel, 2003. Traduit par François Lasquin et Lise Dufaux.
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