Le retour de Silas Jones, de Tom Franklin
On a vu ici le Tom Franklin auteur de western avec La Culasse de l’enfer et le Tom Franklin auteur de nouvelles avec Braconniers, place au romancier noir contemporain avec ce Retour de Silas Jones. Silas Jones est agent de police à Chabot, Mississippi, plus ou moins cinq cents habitants dont Larry Ott. On est à la fin des années 1990. Silas est revenu à Chabot, où il a passé une partie de son adolescence, près de vingt ans après son départ. À l’époque, une jeune fille, Cindy Walker, avait disparu juste après un rendez-vous avec Larry. Faute de preuves et faute de la découverte d’un corps, Larry n’a jamais été inculpé. Mais ce jeune homme étrange, renfermé, sans cesse absorbé dans les livres de Stephen King ou les films d’horreur vit depuis vingt ans dans un autre genre de prison, coupé du reste de la communauté, persuadée de sa culpabilité, vendant peu à peu les centaines d’hectares de forêts hérités de son père à la scierie Rutherford. Et, justement, c’est aujourd’hui une autre jeune fille, Tina Rutherford, qui a disparu. Naturellement, les soupçons se tournent vers Larry. Et si Silas Jones est convaincu de l’innocence de celui qui, l’espace de quelques mois, deux décennies auparavant, a été son ami, les circonstances de son propre départ l’empêchent de réellement l’épauler.
Passons vite sur l’intrigue elle-même, en grande partie cousue de fil blanc même si, par le jeu des allers-retours entre passé et présent et le passage d’un personnage à l’autre, Tom Franklin arrive à maintenir un certain suspense. L’intérêt du Retour de Silas Jones est ailleurs.
Dans la relation complexe qui unit Silas et Larry d’abord. Franklin arrive à rendre avec une grande sensibilité toute l’ambigüité de cette amitié qui se cantonne aux jeux des deux garçons dans les bois appartenant au père de Larry. Pas question pour Silas pour la plus grande part, mais aussi pour Larry d’afficher cette amitié au collège ou au lycée. Pour une question de couleur d’abord – Larry est blanc, Silas est noir – mais aussi parce que le très populaire Silas, excellent joueur de base-ball, ne tient pas à se montrer avec l’étrange Larry, véritable paria et par ailleurs souffre-douleur du lycée. L’un comme l’autre accumulent les petits griefs vis-à-vis de leur ami, se trouvent gênés par cette relation, mais c’est de loin Silas qui l’assume le plus mal et qui, vingt ans plus tard, malgré la honte qu’il éprouve à adopter cette attitude, se refuse à entretenir un quelconque lien avec un Larry de plus en plus isolé.
Dans le portrait que fait Franklin du Mississippi ensuite. S’il n’élude pas la question du racisme – lié autant à la couleur, d’ailleurs, qu’à la classe sociale – l’auteur ne la place pas au centre de son roman ou, plutôt, en montre toute la complexité : c’est bien Larry, issu d’une famille plutôt aisée et appréciée de la communauté qui se trouve mis à l’écart avant même d’être soupçonné du meurtre de Cindy Walker. Mis à l’écart par ses pairs, mais aussi par son propre père qui ne se reconnaît pas dans ce fils maladroit et trop passionné de lecture pour être honnête. Quant à Silas, s’il est pauvre, noir et obligé de vivre dans des conditions extrêmement précaires avec sa mère, s’il peut souffrir parfois du racisme, ses aptitudes en sport et son intelligence sociale le promettent à un bien meilleur avenir.
Si Tom Franklin réussit donc à éviter les pièges de la caricature ou du discours trop attendu, il a surtout cette formidable aptitude, déjà relevée dans ses autres ouvrages, à aller chercher le détail parlant – une phrase, la manière de se tenir d’un personnage, un dialogue a priori banal – qui va éclairer toute une situation ou toucher le lecteur au cœur. Cette économie, cette fausse simplicité de l’écriture confère au Retour de Silas Jones souffle et épaisseur et permet à Franklin de nous offrir une nouvelle fois un très beau roman qui, sans affèteries ni discours lénifiant, sait nous saisir et nous émouvoir.
Tom Franklin, Le retour de Silas Jonas (Crooked Letter, Crooked Letter, 2010), Albin Michel, 2012. Rééd Le Livre de Poche, 2017. 382 p.
Du même auteur sur ce blog : La Culasse de l’enfer ; Braconniers ;