Carnets noirs, de Stephen King
En 1978, John Rothstein, écrivain culte, auteur d’une trilogie mettant en scène Jimmy Gold, jeune américain en révolte, a depuis longtemps arrêté d’écrire pour le public et vit reclus dans une maison isolée du New Hampshire. C’est là que le trouvent Morris Bellamy et ses complices. Petit délinquant issu d’une famille de la classe moyenne supérieure, Bellamy s’est maladivement identifié au héros de Rothstein et c’est peu dire que le destin de Jimmy Gold qui, dans le dernier volume de la trilogie, rentre dans le rang et rejoint même une agence de publicité lui a déplu. Aussi abat-il purement et simplement l’auteur légendaire. Outre l’argent conservé par le romancier dans son coffre-fort, Bellamy met la main sur des dizaines de carnets Moleskine dans lesquels, après s’être retiré, Rothstein a continué d’écrire. Mieux, ils contiennent deux volumes inédits qui continuent la geste de Jimmy Gold. Mais Bellamy n’aura pas le temps de les lire. S’il n’est pas arrêté pour le meurtre de Rothstein, il tombe pour un viol et une tentative de meurtre et ne sortira de prison que 35 ans plus tard.
Entre temps, la famille de Peter Saubers s’est installée dans la maison de la mère de Morris Bellamy. Et l’adolescent fou de littérature découvre accidentellement le butin du criminel et les fameux carnets noirs de Rothstein. L’argent servira durant quelques années à sortir la famille Saubers du marasme après que le père a perdu son travail et a été grièvement blessé lors de la tuerie orchestrée par Mr Mercedes et, quand il n’y en aura plus, Peter envisagera de vendre les carnets. Cela, au moment même où Bellamy sort de prison et compte remettre la main dessus. L’intervention de Bill Hodges, policier retraité devenu détective, ne sera pas de trop pour aider Peter à sauver sa peau.
Le deuxième volume de la trilogie Bill Hodges est incontestablement plus consistant que le premier. Stephen King ne se contente plus de jouer avec les codes du thriller et du roman noir mais retrouve des thèmes prégnants de son œuvre. Il y a d’abord la question de la littérature. Celle de la manière dont l’œuvre échappe à l’auteur – on pense nécessairement à Misery ou à La part des ténèbres – mais aussi celle du pouvoir que celle-ci peut exercer sur le lecteur et dont elle peut bouleverser des vies. Il y a ensuite celle de l’adolescence, moments de tous les possibles mais aussi de toutes les souffrances. Derrière tout cela, King, s’il a résolument investi le domaine du roman noir dans cette trilogie, laisse cependant planer une aura fantastique que la figure de Brady Hartsfield, le Mr Mercedes du premier volume, vient renforcer.
Plus ambitieux que le précédent roman mettant en scène Hodges sans pour autant être dénué de défauts – en particulier une fin assez prévisible – Carnets noirs par sa manière de mettre en avant le pouvoir de la littérature et la recherche désespérée du Grand Roman Américain, par la façon dont il continue de décrire, de manière plus directe que dans Mr Mercedes, l’Amérique de la crise est un livre véritablement prenant. Bon roman noir, beau roman d’apprentissage porté par une construction adroite, et une écriture que vient ici renforcer la bonne mise en voix d’Antoine Tomé qui se plaît parfois à surjouer juste comme il faut pour ne pas verser dans la caricature, Carnets noirs est très recommandable.
Stephen King, Carnets noirs (Finders Keepers, 2014), Albin Michel, 2016. Édition Audiolib 2016 lue par Antoine Tomé. Traduit par Océane Bies et Nadine Gassie.
Du même auteur sur ce blog : Mr Mercedes ; Ça ;