Elmore Leonard, un maître à écrire, de Laurent Chalumeau
Mort en 2013, Elmore Leonard a laissé derrière lui pas moins de 45 romans et quelques dizaines de nouvelles. Si sa production a été, objectivement, assez inégale, l’œuvre de Leonard a aussi bien souvent été sous-estimée. En tout cas, et c’est ce que Laurent Chalumeau s’applique à montrer dans cet essai, Leonard est certainement l’un des écrivains qui ont le plus influencé les auteurs de la fin du XXème et du début du XXIème siècles.
Leonard est un writer’s writer, un de ses auteurs qui ne trouve pas forcément un énorme succès public – encore qu’il n’ait pas été trop mal loti de ce côté-là non plus, en particulier dans la seconde partie de sa carrière – mais qui fascine ses condisciples. Et pas seulement dans le polar, ni d’ailleurs dans la littérature stricto sensu. Car si Dennis Lehane, Tim Dorsey, George Pelecanos, Carl Hiaasen, Laurent Chalumeau, évidemment, ou Don Winslow pour n’en citer que quelques uns louent en lui un maître à écrire, il en va de même de Stephen King, de Martin Amis, de Brett Easton Ellis, Saul Bellow, David Simon et, bien entendu, Quentin Tarantino.
Cet essai érudit se révèle bien vite passionnant. D’abord parce que Chalumeau connaît son Elmore sur le bout des doigts. Ensuite parce que le fait d’être un admirateur de Leonard ne l’empêche jamais d’avoir le recul nécessaire pour dire que tel ou tel roman du maître n’est pas très bon (pas sans rappeler toutefois que « un Leonard mineur vaudra toujours dix Kellerman réussis (oxymore!) ») et de développer plus avant la thèse qu’il présentait l’an dernier dans le numéro 117 de la revue 813 selon laquelle la publication de ses fameuses Dix règles d’écriture aurait poussé Elmore Leonard à se caricaturer lui-même dans ses derniers romans. Et si l’on ne partage pas toujours l’avis de Chalumeau sur certains livres de Leonard, on le rejoint complètement sur le fait que Djibouti remporte la palme du bouquin d’Elmore Leonard le plus excessivement leonardien. Enfin, et cela a son importance, Laurent Chalumeau écrit tout cela avec une plume enlevée, incisive, et livre un travail qui se révèle finalement aussi vivifiant sur le fond que sur la forme. Qu’on en juge avec ce passage sur la façon dont le concept de « polar feelgood » tel que développé par Leonard a du mal à passer dans la critique :
« Polar, oui, tant que vous voulez. Mais feelgood, ah ça non ! Pas de ça chez nous !
Car, « good time crimes », romans conçus pour plaire, pince-sans-rire, violents juste ce qu’il faut, pour le lecteur, on voit bien l’intérêt. En revanche, pour le critique, et singulièrement le critique français, on mesure aussi l’ampleur du manque à enculer les mouches et théoriser en rond, donc le chômage technique. Or, touchez à leur emploi, de nos jours, les gens deviennent nerveux, brûlent des pneus. […] Du coup, Elmore frustre certains grands prêtres locaux du roman nouâr Kierkegaardien ou ex-Mao-néo-Stal’ fondus de polar « engagé ». Notons au passage que cette prime accordée d’office à la turpitude, même cosmétique, ou à la « dénonciation », même machinale et formulaïque, révèle qu’au plus haut (bigre !) des instances censées le défendre et le célébrer, le polar doit, encore et toujours, se faire pardonner d’en être, et n’obtient l’homologation « littérature de genre » qu’en présentant autre chose à aimer que lui-même. »
Voilà donc un essai amené à faire autorité en la matière non seulement de par son érudition et sa rigueur (et parce qu’il contient par ailleurs une longue interview passionnante et inédite d’Elmore Leonard et de son documentaliste Greg Sutter), mais aussi par la vivacité de son écriture qui en fait une œuvre littéraire à part entière et donne même envie de découvrir les romans de Laurent Chalumeau. Un livre pour les admirateurs de Leonard mais aussi pour tous ceux qui s’intéressent au processus d’écriture et qui, s’ils ne connaissent pas encore Elmore n’en auront que plus envie de le découvrir.
Laurent Chalumeau, Elmore Leonard, un maître à écrire, Rivages, Écrits Noirs, 2015. 271 p.
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