Une seconde chance pour les morts, de Charles Willeford
« Hoke s’éveilla tout abruti à six heures du matin, fit chauffer de l’eau sur sa plaque électrique pour faire du café instantané, mit ses dentiers et se rasa dans la salle de bains. Il avait déjà compris que s’il n’allait pas dans la salle de bains le premier le matin, les filles y passaient un temps tout à fait déraisonnable. Elles réussissaient par ailleurs le prodige de mouiller toutes les serviettes sèches et consommaient une quantité vertigineuse de papier hygiénique. »
C’est un Hoke Moseley pour le moins perturbé que l’on retrouve dans le deuxième roman que Charles Willeford lui consacre après Miami Blues. Son ex-femme lui a expédié sans préavis ses deux filles de quatorze et seize ans pour pouvoir refaire sa vie et il se voit obligé de partager avec ces deux enfants qui lui sont devenues étrangères sa chambre miteuse de l’hôtel Eldorado qu’il va de toute façon devoir quitter, son chef refusant qu’il habite à l’extérieur des limites de Miami. À cela vient s’ajouter le fait que sa jeune coéquipière cubaine est à la rue car son père l’a jeté dehors en apprenant qu’elle était enceinte, la mission que lui a confié le chef d’enquêter sur de vieilles affaires non élucidées, et les liens étroits qu’il tisse avec la belle-mère de la victime dans une enquête qu’il est en train de mener.
Plus encore que dans Miami Blues, l’intrigue criminelle est ici secondaire, Hoke cherchant avant tout à se faciliter la vie en trouvant aussi vite que possible un logement et le moyen de s’occuper de ses filles. Fataliste mais doté d’un certain sens des responsabilités, le héros de Willeford tente de mener de front sa vie professionnelle et sa vie personnelle. Il prend d’ailleurs ici une certaine épaisseur en faisant preuve d’une attitude quasi sacerdotale en ce qui concerne l’éducation de ses filles et en essayant dans le même temps de tirer parti de son travail pour améliorer sa situation.
Plus déterminé qu’il n’y paraît, Hoke Moseley, s’il accepte sa condition de flic sans le sou à la merci de l’avocat de son ex-femme et des organismes de crédit, tente vaille que vaille de trouver des solutions à ses problèmes, fussent-elles complètement loufoques ou à la limite de la légalité.
On notera par ailleurs que Charles Willeford n’avait pas prévu cela au départ. En effet, comme l’explique Pierre Bondil, traducteur de Willeford, dans le Dictionnaire des littératures policières, l’auteur avait écrit après Miami Blues un second et ultime volume qui ne fut jamais publié des aventures de Moseley dans lequel il tuait purement et simplement ses deux filles lorsqu’elles débarquaient chez lui à l’improviste. En laissant finalement en vie les filles de Hoke Moseley, Willeford se doit finalement de le doter d’un plus grand sens des responsabilités. Mais il conserve le caractère résigné de son héros et joue de sa maladresse dans ses rapports avec ses filles et sa coéquipière, le tout se doublant d’un étonnant et très personnel sens des valeurs.
Cela donne au final un roman atypique, hilarant parfois (le passage où Hoke décide de parler de sexualité à ses filles vaut à lui seul qu’on lise ce roman) mais sur lequel est posé un pesant couvercle de pessimisme qui en fait un livre profondément noir à l’atmosphère lourde et moite.
Charles Willeford, Une seconde chance pour les morts (New Hope for the Dead, 1985), Rivages/Thriller, 1990. Rééd. Rivages/Noir, 1991. Traduit par Danièle et Pierre Bondil.
Du même auteur sur ce blog : Miami Blues ; Dérapages.