Mortel estuaire, de Philippe Cougrand
Préparant la rencontre de samedi à Saint-Macaire avec Philippe Cougrand, je me suis donc plongé dans son Mortel estuaire.
Cet estuaire, c’est celui de la Gironde, sur les bords duquel Régis, aujourd’hui journaliste, accompagnait pendant leur adolescence son ami Bruno, héritier du domaine viticole de La Roque de Hure, dans les Côtes-de-Bourg. Bruno, alors fasciné par son père disparu, ancien marin passé du côté de l’OAS après le putsch des généraux. Et puis les affres de la vie ont séparé les deux amis. C’est une rencontre fortuite, dans un aéroport, qui scelle leurs retrouvailles. Bruno va se marier. Régis cède à la curiosité et assiste aux noces de son ami avec une femme bien plus âgée. À ce mariage, Régis semble être le seul ami de Bruno présent au milieu de quelques inconnus hostiles comme ce Bernard Keller, figure locale d’un parti d’extrême-droite. Et puis, quelques mois plus tard, Bruno est retrouvé noyé dans l’estuaire, lui qui avait pourtant si peur de ces eaux limoneuses et sombres. Une nouvelle fois, la curiosité l’emporte, et aussi l’attirance envers la jeune sœur de Bruno. Régis se trouve dès lors entraîné dans une histoire qui le dépasse, entre secrets de famille, politique et remugles de l’histoire.
Mortel Estuaire n’est pas un roman foncièrement original. Il s’appuie sur une intrigue classique mêlant un enquêteur qui, presque contre son gré, se trouve poussé à une véritable fuite en avant, une histoire d’amour naissante, un brin de complot politico-financier et une putative chasse au trésor fondée sur une énigme en lien avec l’histoire récente. Autant d’ingrédients qui, mal maniés, mèneraient aisément à la catastrophe, n’était le talent d’écriture de Philippe Cougrand et sa mesure dans le déroulement de son intrigue. L’auteur arrive en effet, par le biais d’une écriture précise, jamais ampoulée, et d’une narration à la première personne accordée à un personnage qui garde une certaine distance rétrospective face aux événements qu’il raconte, à conserver un équilibre entre tous ces éléments qui, si l’un d’entre eux prenait trop le dessus sur les autres, pourraient faire basculer le roman du côté du mauvais polar.
Philippe Cougrand fait en effet preuve dans son écriture d’une retenue qui lui permet d’installer une ambiance pesante qui va crescendo, jusqu’à l’éclatement des tensions accumulées. S’il est émaillé de quelques scènes d’actions nécessaires au déroulement de l’intrigue et avec lesquelles, d’ailleurs, ont sent que l’auteur n’est pas forcément à l’aise mais qu’il a l’intelligence de rendre aussi allusives que possibles afin de ne pas plomber son récit, Mortel estuaire est en effet surtout un roman d’ambiance et une réflexion sur le poids de l’héritage. Un héritage familial mais aussi un héritage historique duquel il est parfois nécessaire de savoir se délester ou à tout le moins s’affranchir pour pouvoir continuer à avancer.
Mortel estuaire apparaît donc au final comme un roman agréable et, si l’histoire peut paraître parfois un peu tirée par les cheveux et déjà vue, ses quelques défauts sont souvent compensés par une écriture élégante et un propos intelligent. Philippe Cougrand est sans nul doute un auteur à découvrir. On en reparlera dans la semaine.
Philippe Cougrand, Mortel estuaire, Les éditions de l’Atelier In8, Noires de Pau, 2007.
Du même auteur sur ce blog : L'ours pécheur ; Le portrait de Sarah Weinberg.