Le portrait de Sarah Weinberg, de Philippe Cougrand
Marc Descombes étudie l’architecture et, en cet été 1989, il a trouvé un emploi saisonnier dans un palace de Biarritz. C’est là qu’il rencontre Anna Guzman, une riche cliente qui se prend d’affection pour lui et lui révèle qu’elle possède des tableaux confisqués par les nazis à des Juifs autrichiens, les Weinberg, pendant la guerre. Parmi ces tableaux, des portraits de Sarah Weinberg signés par John Sargent Singer, Pablo Picasso et Gustav Klimt.
En 2007, la vente aux enchères d’un tableau de Klimt restitué à l’héritière d’une famille juive spoliée par les nazis fait s’envoler la côte du peintre. Cet événement relance sur la piste de Marc des collectionneurs peu recommandables qui comptent remettre la main sur ces tableaux volatilisés durant l’été 1989 et en particulier sur ce portrait de Sarah Weinberg peint par Klimt. Dès lors une terrible machine se met en marche, entrainant dans ses engrenages, du Pays basque à l’Allemagne et à l’Autriche, Kaspar Colloredo, allemand chargé de travailler sur un documentaire consacré à la spoliation de la famille Weinberg, Simon et Ingrid, étudiants qui ont croisé le chemin de Colloredo, Nathan Weinberg, fils vieillissant de Sarah rêvant de revoir une dernière fois son portrait, Paul Vernières, sénateur et veuf d’Anna Guzman…
Roman sur la rédemption, les remords, le pardon, réflexion sur le mal et ce que l’on peut en faire (le perpétuer, le transformer) roman noir autant que roman d’amour, Le portrait de Sarah Weinberg est sans doute – pour ce que nous avons lu de son œuvre – le livre le plus ambitieux de Philippe Cougrand et peut-être le plus abouti.
Cette intrigue dans laquelle on retrouve les thèmes chers à l’auteur – l’Histoire du vingtième siècle et les traces laissées dans la chair et dans la conscience européennes par la Seconde guerre mondiale, la complexité des relations père/mère-fils, la valeur de la rédemption – se révèle de plus en plus complexe au fur et à mesure que le roman avance mais obéit à une mécanique millimétrée dans laquelle Philippe Cougrand se plaît à laisser traîner indices semblants de révélations qui maintiennent tension et suspense sans verser dans le facile cliffhanger de fin de chapitre.
On pourra sans doute lui reprocher une première partie un peu longue qui nécessite de la part du lecteur une attention soutenue et l’acceptation de voir se mettre en place lentement intrigue et personnages. Toutefois le lecteur, s’il accepte ce contrat tacite avec l’auteur, verra peu à peu se dérouler devant lui le fil d’un roman envoutant dont la réussite tient autant à la complexité de l’intrigue qu’à l’épaisseur des personnages et à cette écriture dont a déjà par ailleurs vanté l’élégance classique.
Plongée dans l’Histoire, dans l’art et dans l’âme de personnages ambivalents, Le portrait de Sarah Weinberg est un beau roman qui nous montre comment le temps n’efface rien et comment la perpétuation du mal, du bien, du beau, ne tient qu’à la volonté des hommes, qu’ils en aient été les acteurs ou qu’ils en soient les héritiers.
Philippe Cougrand, Le portrait de Sarah Weinberg, Éditions du Pierregord, 2012.
Du même auteur sur ce blog : Mortel estuaire ; L’ours pécheur.