Les douze enfants de Paris, de Tim Willocks
« L’homme qu’elle aimait était un homme voué à verser le sang. Il s’était engagé à cette fidélité très longtemps avant de savoir à quoi il se vouait, lorsque des hommes pas très différents de ceux qui jonchaient le rivage avaient mutilé la vie qu’il aurait pu obtenir du royaume des possibilités ».
Si cette citation arrive à la page 914 des Douze enfants de Paris, ce qu’elle nous révèle nous l’avons su bien plus tôt : oui, Mattias Tannhauser aime à éviscérer son prochain, et, c’est un fait, Tim Willocks (ou son traducteur, mais je ne parierais pas forcément là-dessus) aime à faire des phrases aussi emberlificotées qu’un intestin extrait d’un ventre à coup de spontone.
Bref, autant le dire tout de suite, on a été assez déçu par cette suite de La religion, premier et grand roman épique d’une trilogie annoncée de l’auteur anglais.
Après le siège de Malte, on retrouve donc le Templier un tantinet psychopathe Mattias Tannhauser à Paris où, à la veille de la Saint Barthélémy, il est venu retrouver sa femme, Carla, comtesse de la Penautier, qui, bien que sa grossesse arrive à son terme, a tenu à venir jouer de la viole de gambe au mariage d’Henri de Navarre et de Marguerite de Valois. Mais les retrouvailles de l’équarrisseur en chef de la musicienne sont reportées sine die pour cause de massacre de protestants. Et Mattias de courir d’un coin de Paris à l’autre en découpant de manière on ne peut plus œcuménique protestants et catholiques, hommes ou femmes, qui se trouvent sur son chemin afin de retrouver Carla, enlevée par une bande de brigands à la solde d’un mystérieux commanditaire.
Tout n’est pas mauvais dans Les douze enfants de Paris. Il y a même du très bon ; en particulier la description très imagée et percutante du cloaque puant qu’est le Paris de l’époque ainsi que, bien entendu, celle de l’intérieur d’un être humain, que Tannhauser se plaît à mettre à l’air libre dans à peu près une page sur quatre. Ainsi, comme dans La religion, Tim Willocks plonge littéralement son lecteur dans la merde et le sang avec un talent consommé ; ce qui, en fin de compte, fait de son roman une lecture distrayante malgré ses défauts.
Parmi ceux-ci, on relèvera d’abord l’inanité du scénario. On ne comprendra jamais vraiment bien pourquoi Carla est prise en otage – quand le mystérieux commanditaire tombe entre les pattes de Mattias, ce dernier, plutôt que de lui demander ses raisons, préfère le dépecer – et l’on se demande si tous les allers-retours du héros sont utiles à autre chose qu’à accumuler les scènes (plaisantes, il est vrai) de Docteur Maboul sans anesthésie. Par ailleurs, aussi amusants soient les trépanations, éviscérations, énucléations et autres démembrements, et aussi trépidantes soient certaines des courses contre la montre de Tannhauser et de ses compagnons, Les douze enfants de Paris souffre incontestablement de sacrées longueurs. On peut donc aussi se demander – mais la réponse se trouve sans doute dans la question – si 930 pages étaient vraiment nécessaires.
En fin de compte, après avoir beaucoup apprécié La religion et espéré avec impatience la publication de ces Douze enfants de Paris, c’est avec circonspection que l’on attendra le troisième volet des aventures de Tannhauser.
PS : Quelqu’un a-t-il réussi à faire le compte des douze enfants ?
Tim Willocks, Les douze enfants de Paris (The Twelve Children of Paris, 2013), Sonatine, 2014. Traduit par Benjamin Legrand.
Du même auteu sur ce blog : Bad City Blues ;