Le poil de la bête, d’Heinrich Steinfest
On s’abstiendra pour commencer de tenter de résumer l’intrigue du Poil de la bête car on ne pourrait en fin de compte que l’affadir. On se contentera donc de dire que l’on y trouvera une quadragénaire devenue tueur à gages qui ne se sépare jamais de son enfant handicapé, un compositeur peut-être venu du futur, un chien n’émettant ni bruit ni odeur, un détective manchot, une enfant juive un peu antisémite sur les bords et de l’eau de Cologne.
Il apparaîtra pour qui a déjà lu l’un ou l’autre des précédents romans de Steinfest que le romancier autrichien n’a pas varié dans sa démarche, déconstruisant et reconstruisant avec bonheur ses histoires sur un fond d’énigme policière dont la résolution ne pourra qu’être étonnante (ce qui n’empêche pas qu’elle soit logique).
« La précision de Dürer n’a pas vraiment de sens. Les choses n’en deviennent pas plus claires. Au contraire. Elles disparaissent derrière la finesse du trait. » dit l’un des personnages du Poil de la bête. Et, de fait, c’est cela, mais aussi son contraire, que l’on retrouve chez Steinfest, écrivain présentant avec une précision redoutable un monde qui n’est pas la réalité mais plus que la réalité. Bien ancré dans le réel, le monde que décrit Steinfest va au-delà du réel, poussant les personnages et le lecteur à envisager sérieusement la possibilité de l’existence d’une autre vérité derrière celle que l’auteur présente avec un luxe de détails.
Faussement échevelé le récit, comme habité par une vie propre, se plaît à déstabiliser le lecteur avant de venir un peu confirmer ses certitudes puis, à nouveau, à l’occasion d’un nouvel enchainement de situations ou au détour d’une phrase, de le faire douter à nouveau. Et cela, toujours, avec un humour extrêmement fin qui séduira les amateurs de nonsense.
C’est toujours une expérience stimulante et troublante que de lire un roman de Steinfest et sans doute plus encore avec ce roman long (plus de 650 pages) multipliant avec bonheur points de vue, fausses pistes, trompes l’œil et rebondissements. Revigorant pour qui acceptera de se laisser prendre au jeu que propose l’auteur, Le poil de la bête est assurément une nouvelle réussite pour celui dont il n’est plus besoin de confirmer qu’il est aujourd’hui l’un des écrivains les plus originaux du polar.
Pour une chronique plus fine que la mienne et qui s’intéresse de plus près aux mécanismes de l’écriture de Steinfest, on peut aller voir chez Le Vent Sombre.
Heinrich Steinfest, Le poil de la bête (Ein dickess Fell, 2006), Carnets Nord, 2013. Traduit par Corinna Gepner.
Du même auteur sur ce blog : Requins d’eau douce ; Le onzième pion ;