Le crépuscule des pirates : Tortuga, de Valerio Evangelisti
1685. Le portugais et ancien jésuite Rogério de Campos, embarqué sur un galion espagnol, est forcé de rejoindre les pirates qui ont fait main basse sur son navire. Entrainé dans la flibuste qui vit alors ses dernières heures, Rogiéro va écumer les Caraïbes aux côtés des plus grands capitaines pirates du temps et s’enfoncer peu à peu dans ce monde d’une sauvagerie inouïe dans lequel, en fin de compte, il va se fondre avec aisance. Sa passion et son obsession pour une mystérieuse esclave noire vont sceller à la fois son destin et celui de ses compagnons de route.
Après l’Inquisition (la série « Nicolas Eymerich »), les mineurs de Pennsylvanie (Anthracite), le syndicalisme et le communisme aux États-Unis dans les années 1920 (Nous ne sommes rien, soyons tout), après le roman noir, le roman de science-fiction et le fantastique, Valerio Evangelisti s’attaque à une nouvelle période et à un nouveau genre… qu’il dynamite avec talent.
C’est que le roman d’aventure et de piraterie vu par Evangelisti n’a pas grand-chose à voir avec le Capitaine Blood campé par Errol Flynn ou même avec les Pirates de Polanski. Tout est sale, puant, suinte de violence gratuite et de pur sadisme. Quant au légendaire code d’honneur des pirates, vous pouvez d’ores et déjà l’oublier : pas un chapitre ne passera sans qu’il soit proprement battu en brèche.
Chez Evangelisti, l’érudition de l’auteur à laquelle vient s’ajouter le talent d’écrivain confère à son roman intérêt et souffle épique. On se retrouve littéralement happé dans ce monde fascinant et effrayant, et c’est sans rechigner que l’on suit Rogério de Campos, personnage principal (et non pas héros) extrêmement ambigu, d’abordages en massacres, de beuveries en affrontements psychologiques tendus.
Comme Cormac McCarthy dans Méridien de sang ou James Carlos Blake dans Crépuscule sanglant décrivaient avec réalisme et noirceur la fin du mythe du Far West, Evangelisti bouscule le mythe du pirate et peint le crépuscule des flibustiers. Une peinture faite de sang, de tripaille, de poudre noire et de bile.
Roman d’aventures passionnant et formidablement bien écrit, Tortuga est sans nul doute un des grands livres de l’année 2011.
Et ce n’est pas Jean-Marc qui dira le contraire !
Valerio Evangelisti, Tortuga, Rivages, 2011. Traduit par Sophie Bajard.
Du même auteur sur ce blog : Nicolas Eymerich, inquisiteur.