La preuve de sang, de Thomas H. Cook
Journaliste spécialisé dans l’écriture de livres sur des affaires criminelles réelles, Jack Kinley a connu le succès après avoir quitté Sequoyah, la petite ville Georgie où il a été élevé par sa grand-mère. Obligé de revenir pour assister aux obsèques de son ami d’enfance et ancien shérif Ray Tindall, Jack, pour rassurer la fille de son ami, Serena, qui croit que des dossiers ont disparus du bureau de son père, finit par reprendre une enquête sur une très vieille affaire de meurtre que Ray semblait avoir rouverte. Ce faisant, il se confronte au passé de sa ville et, par bien des aspects, au sien propre.
Après avoir lu seulement deux romans de Thomas H. Cook, on se rend déjà compte que son œuvre est en grande partie axée sur les mêmes thématiques, qui reviennent de manière quasi-obsessionnelle : les dessous des relations humaines dans les petites villes ou communautés (les mormons de Salt Lake City dans Du sang de l’autel, une petite ville de l’Est des États-Unis pour Les feuilles mortes), et la figure du père, qu’il soit présent et ait des difficultés à assumer le rôle qu’il voudrait avoir (Les feuilles mortes), qu’il soit une figure tutélaire (Brigham Young dont l’ombre plane sur la communauté dans Du sang sur l’autel) ou qu’il soit, comme c’est le cas dans La preuve de sang, absent.
Ce sont bien quatre figures paternelles qui dominent La preuve de sang et orientent le destin de Jack Kinley : Ray, le père de Serena dont cette dernière veut connaître les raisons de la mort, Charles Overton, père de Dora, exécuté après avoir été accusé de meurtre en 1954 et dont a fille éprouve le besoin impérieux de savoir s’il était coupable ou innocent jusqu’à lancer tour à tour Ray puis Jack dans cette enquête, Warfield, père du procureur actuel, qui a envoyé Overton sur la chaise électrique, et, enfin, le père absent de Jack.
Et ce sont ces quatre figures paternelles qui amènent Jack à remuer un passé pas si lointain que cela pour une communauté repliée sur elle-même et où une partie des protagonistes de l’affaire de la mort de la petite Ellie Dinker en 1954 vit encore. Un passé qui fait ressurgir des questions bien enfouies jusque là et qui vont à la fois permettre à certains de se décharger d’un poids porté depuis des décennies et frapper de plein fouet d’autres qui entendent bien rester ignorants de la vérité. Jack, l’enfant du pays devenu étranger (ou déjà étranger lorsqu’il grandissait dans la région) est là pour révéler obstinément cette vérité tout en se posant toujours la même question lancinante : est-ce vraiment mieux de savoir ? S’il est convaincu que c’est le cas au début de son enquête, il va de plus en plus avoir à s’en convaincre en même temps qu’il déterre le passé au risque de se brûler lui-même les ailes.
Et ce sont bien ces questions qui sont au centre de La preuve de sang, plus que l’intrigue elle-même au cours de laquelle le lecteur, moins aveuglé que peut l’être Jack par ses sentiments, a souvent un temps d’avance sur le héros[1], et qui n’est finalement qu’un accessoire permettant à Cook de broder autour des thèmes qui lui sont chers. Cela donne un roman dont la construction est sans doute un peu moins virtuose que celle de, par exemple, Les feuilles mortes. Si les pièces s’emboitent bien et de manière habile, les ficelles sont parfois un peu trop visibles. Reste que Thomas H. Cook nous sert, grâce à son talent d’écrivain, un roman envoutant dont la profondeur vient incontestablement atténuer les menus défauts.
Thomas H. Cook, La preuve de sang (Evidence of Blood, 1991), Gallimard, Série Noire, 2006. Rééd. Folio Policier 2012. Traduction par Gaëtane Lambrigot revue par Béatrice Durupt.
Du même auteur sur ce blog : Les feuilles mortes ; Du sang sur l’autel ; L'étrange destin de Katherine Carr ;
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[1] Si ce n’est plusieurs : le premier indice laissé par Ray aurait incontestablement pu mener Jack à la solution dès le départ. Le problème, bien sûr, c’est qu’il n’y aurait alors pas eu de roman.