L'étrange destin de Katherine Carr, de Thomas H. Cook
Thomas H. Cook est un habitué des intrigues retorses aux constructions complexes qui font émerger les non-dits, les cadavres bien rangés dans les placards, la difficulté et parfois l’hypocrisie qui régentent les relations familiales et en particulier la complexité des rapports père-fils.
L’étrange destin de Katherine Carr ne déroge pas à la règle mais Cook y pousse bien plus loin les traits qui caractérisent son œuvre.
Quelque part, sur un bateau, George Gates, journaliste pour une feuille locale d’une petite ville provinciale, raconte à un homme dont on ne saura rien d’autre que le nom l’histoire de sa vie après la mort de son fils enlevé puis assassiné et dont on a repêché le corps en décomposition dans une rivière. Il raconte comment, après cette perte insoutenable, il a ressassé pendant des années chaque minute de la journée fatale. Et les vieux souvenirs. Il raconte aussi comment un ancien policier lui a parlé de la disparition, vingt ans plus tôt, de Katherine Carr, une poétesse et romancière qui a laissé derrière elle un étrange manuscrit qui pourrait aussi bien être une fiction que le récit des mois précédant le jour où elle s’est volatilisée. Il raconte enfin comment, pour Alice, une enfant passionnée d’énigmes policières et sur le point de mourir de la progeria, il s’est lancé sur les traces de Katherine Carr.
Ainsi chaque histoire s’ouvre sur une autre. Celle de George et de son fils sur celle de Katherine Carr, celle de Katherine Carr sur celle d’Alice, celle d’Alice sur celle de George et de son fils… Le tout formant une sorte de cercle dont le lecteur peine à savoir s’il est vicieux ou vertueux. Et chaque histoire de rebondir pour mieux en éclairer une autre ou, plutôt, pour donner la sensation de l’éclairer. Car Thomas H. Cook, toujours, laisse planer l’ombre d’un doute : Katherine a-t-elle vraiment disparu ? George a-t-il vraiment vu quelque chose le jour de la disparition de son fils ? Alice peut-elle vraiment trouver une quelconque clé à l’énigme ? Tout cela est-il réel ?
Du George racontant présentement son histoire au manuscrit de Katherine Carr en passant par les rêves et souvenirs de George, on plane dans un monde cotonneux, inquiétant, onirique. Une confusion que Cook entretient avec talent et qui rend la construction de son roman encore plus redoutable, repoussant son livre jusqu’aux frontières du fantastique.
Roman de la douleur et de la crainte – de la perte, de l’exclusion, de l’inéluctabilité de la mort – L’étrange destin de Katherine Carr se révèle certes complexe et oppressant. Mais, pour qui saura passer l’étape d’une entrée en matière déroutante et accepter de se laisser promener par Cook, il apparaîtra surtout comme une belle variation, ô combien vénéneuse, sur l’existence du Mal… et peut-être aussi du Bien.
Thomas H. Cook, L'étrange destin de Katherine Carr (The Fate of Katherine Carr, 2009), Seuil Policiers, 2013. Traduit par Philippe Loubat-Delranc.
Du même auteur sur ce blog : Les feuilles mortes ; Du sang sur l'autel ; La preuve de sang ;