La faux soyeuse, d’Éric Maravélias
Lire un livre ou pas. Voilà qui tient parfois à peu de chose. À une profonde aversion pour les calembours par exemple. Quelques amis enthousiastes m’avaient certes convaincu d’acheter le roman d’Éric Maravélias au printemps dernier, lors du festival Quais du Polar, mais le jeu du mot du titre persistait jusqu’à présent à dresser un mur entre ce livre et moi. Il aura fallu le quasi ultimatum d’un partenaire d’animation de rencontres autour du polar qui voulait à tout prix parler de La faux soyeuse lors de notre prochaine session pour que je saute finalement pas.
S’ouvrant sur le récit que fait en 1999 Franck, narrateur et personnage principal, de sa propre déchéance. Douleur du manque, avancée aussi sans doute du SIDA dont il est affecté, crasse et odeurs pestilentielles du taudis qu’il occupe, le roman évoque occasionnellement – dans une certaine mesure et toutes proportions gardées – dans ses premières pages au lyrisme méphitique certains passages des Chants de Maldoror (« Je suis sale. Les poux me rongent. Les pourceaux, quand ils me regardent, vomissent. Les croûtes et les escarres de la lèpre ont écaillé ma peau, couverte de pus jaunâtre... »[1]).
Pas toujours assez bridée peut-être, parfois un peu naïve, en particulier lorsqu’elle décrit l’histoire d’amour entre Franck et Carole, la force de l’écriture de Maravélias dont il est évident qu’il a mis beaucoup de lui dans ce roman tout en s’imposant de dépasser le récit autobiographique ou le livre-témoignage, pour livrer un roman stylisé, insuffle toutefois à La faux soyeuse une belle énergie et, sous l’ornementation parfois un peu chargée de la plume, laisse transparaître une séduisante beauté brute.
Faite d’aller-retour entre 1999 et « avant », avant la totale déchéance, avant les actes aux conséquences funestes, l’histoire de Franck est aussi celle de l’arrivée massive de l’héroïne en France, de sa « démocratisation » vue de l’intérieur. Récit de première main, La faux soyeuse, sans faire dans l’angélisme, présente des personnages, à commencer par Franck lui-même, parfois exaspérants mais dont la déchéance morale et physique illustre on ne peut mieux la façon dont ces hommes et femmes qui se veulent rebelles et rêvent de liberté deviennent les pires des esclaves ; ceux qui consentent à l’esclavage.
Pas d’angélisme, pas d’excuses à deux balles, le quotidien du « criquet », celui qui déferle en bande sur le meilleur point de vente pour avoir sa dose est ici raconté au ras du bitume sans pour autant lui dénier son humanité. Ni anges ni démons, les personnages d’Éric Maravélias se débattent avec leurs vies de chiens et si, donc La faux soyeuse n’est pas exempt de scories, on dira que qu’il a la qualité de ses défauts, de ces quelques envolées lyriques un peu naïves qui si elles peuvent être ponctuellement un peu agaçantes lui empêchent d’être trop lisse ou d’exhiber une simple noirceur de façade. La noirceur ici est bien réelle et le récit on ne peut plus acide. Bref, un bien beau premier roman.
Éric Maravélias, La faux soyeuse, Gallimard, Série Noire, 2014.
Merci au passage à Hervé pour le conseil de lecture.
[1] Lautréamont, Les chants de Maldoror, chant IV.