Deux flics à Miami : Voodoo Land, de Nick Stone

Publié le par Yan

000934113.jpgAprès Tonton Clarinette , Nick Stone a donc décidé d’écrire un prequel des aventures de son détective, Max Mingus. On le retrouve donc à Miami en 1981, alors qu’il est encore flic, avec son coéquipier Joe Liston. Là, les deux amis se trouvent confrontés à des morts étonnantes liées à un culte vaudou et à un énigmatique chef de gang haïtien, Salomon Boukman, que l’on a d’ailleurs aussi eu l’occasion de croiser dans le premier roman de Nick Stone. Mingus et Liston se lancent donc  à sa poursuite dans une ville gangrénée par la violence et la corruption. Écartelé entre son désir de rendre la justice, ses instincts violents et autodestructeurs qu’il peine à réprimer et sa fidélité à celui qui l’a pour ainsi dire modelé, son chef, le tyrannique Eldon Burns, Max Mingus s’enfonce dans une enquête trouble, faite de chausse-trappes et de faux-semblants, dans laquelle il finira peut-être enfin par trouver une forme de rédemption.

Le premier constat est clair : il y a dans ce Voodoo Land un faux air de James Ellroy. Mingus est là un flic typiquement de la trempe de ceux d’Ellroy, de Bucky Bleichert dans le Dahlia Noir à Bud White dans L.A. Confidential, tandis qu’Eldon Burns rappelle furieusement Duddley Smith. Toutefois, si l’inspiration est bien là, Nick Stone réussit à s’affranchir de cette influence pesante pour produire une œuvre à laquelle il impose sa patte originale. Et si, au jeu des comparaisons, Ellroy l’emporte sans doute sur la noirceur et l’ambivalence générale de ses personnages, nul doute que Stone le double allègrement en ce qui concerne l’approche de la communauté haïtienne et des rites vaudous dont le cabotin de Los Angeles avait fait une affligeante description de série Z dans son Underworld USA.

Nick Stone joue donc sa partition avec talent. D’abord sur le plan du rythme. Après une scène d’introduction particulièrement hallucinante dans un parc zoologique de seconde zone spécialisé dans les singes, il s’emploie à ne plus laisser retomber le soufflé tout au long des presque 600 pages de ce roman et y arrive bel et bien. Les défauts que de  Tonton Clarinette où quelques passages auraient gagnés à être écourtés et où, peut-être, l’intrigue tenait trop à un twist final, ont été gommés, donnant à Voodoo Land une toute autre épaisseur.

Ensuite, en ce qui concerne la construction de l’intrigue et des personnages. Sur un fil directeur simple – un flic recherche un truand machiavélique – Nick Stone construit une histoire touffue et, surtout, une nuée de personnages qui sont, pour la plupart, principaux ou secondaires, dotés de personnalités complexes et ne font pas seulement de la figuration.

Si le croquemitaine Salomon Boukman et sa complice Eva Desamours ou encore Eldon Burns ont leur importance et contribuent à donner au roman son atmosphère ténébreuse qui flirte toujours avec le fantastique, se sont surtout deux personnages qui sortent du lot : Max Mingus, bien entendu, héros de la trilogie de Nick Stone (le troisième volume, Voodoo Eyes, dont l’action se situe en 2008, vient d’être édité en Grande-Bretagne), mais aussi Carmine Desamours, fils d’Eva, qui apparaît ici comme son alter ego du côté sombre. Là où Mingus vit sous la coupe d’Eldon Burns, Carmine vit sous celle d’Eva. Tous les deux vont essayer de s’affranchir de ces chaînes et d’aller contre leur nature pour devenir meilleurs. Car sous la noirceur de ce roman, Nick Stone fait finalement preuve d’un certain optimisme et d’une véritable empathie envers ses personnages et, plus généralement envers l’Homme. Si la noirceur, la corruption et la violence habitent le monde qu’il nous décrit, Stone veut toujours y voir une étincelle qui le fait tendre vers la rédemption.

Voodoo Land apparaît donc comme un roman abouti, plus original et profond qu’on voudrait bien le croire de prime abord et, surtout, comme un livre qui fait plus que raconter une histoire haletante. Jamais complaisant avec la violence, faisant évoluer la plupart de ses personnages dans une zone grise entre le bien et le mal, Voodoo Land n’est pas un livre zombi. Il a une âme.

Nick Stone, Voodoo Land, Gallimard, Série Noire, 2011. Traduit par Samuel Todd.

Du même auteur sur ce blog : Tonton Clarinette ; Cuba Libre.

Publié dans Noir britannique

Commenter cet article

P
Géniale cette idée d'établir un lien entre Boukman/Bois Caïman 1791 et le personnage de Voodoo Land, je me demandais s'il s'agissait d'un clin d'oeil en lisant Tonton Clarinette. Je ne sais pas si<br /> Stone est un fondu d'histoire mais ça fonctionne vraiment bien. Vivement le prochain.
Répondre
Y
<br /> <br /> Oui, Stone est très bon est on attend le prochain avec impatience.<br /> <br /> <br /> <br />
C
<br /> Commentaires très justes sur un roman de grande qualité.<br /> Votre blog est aussi très bon...Ah les vieux Westlake.<br /> Bonne continuation.<br /> C.<br /> <br /> <br />
Répondre
Y
<br /> <br /> Merci Chris, ça fait toujours plaisir. Et oui, les vieux Westlake... et les plus récents aussi, d'ailleurs.<br /> <br /> <br /> <br />