Cuba Libre, de Nick Stone
Après Haïti au début des années 2000 dans Tonton Clarinette, puis le Miami du début des années 80 dans Voodoo Land, Nick Stone nous invite à suivre de nouveau son privé torturé, Max Mingus. Cette fois, ce sera à Cuba en 2008, à la veille de l’élection de Barack Obama.
Alors qu’il a fini par se résoudre, pour survivre, à traiter des affaires sur lesquelles son amour propre lui interdisait jusqu’alors de se pencher – divorces et adultères – Max Mingus apprend que son ancien mentor, le flic pourri Eldon Burns s’est fait abattre. Son meilleur ami, Joe Liston, suit peut de temps après. Tout indique que Vanetta Brown activiste noire des années 1960 recherchée pour meurtre et réfugiée à Cuba serait derrière ces deux meurtres. Contraint par un agent fédéral avide de vengeance, Mingus se retrouve bien vite à la Havane, sur les traces de l’invisible Vanetta Brown.
Le charme des deux précédents romans de ce qui était annoncé par Stone comme une trilogie résidait en grande partie, outre le personnage attachant et ambigu de Mingus (« Max n’était pas intègre. Ce n’était pas la prison qui l’avait détruit. Ni la mort de sa femme. Mais ce qui avait suivi – le bordel qu’il avait foutu dans sa propre existence. Le destin lui avait tracé une ligne et il en avait fait un nœud coulant. »), dans sa capacité à déchirer les mythes et les cartes postales des destinations vers lesquelles ils nous entrainait. Non pas pour nous montrer la réalité, mais pour recréer des mythes en nous servant une face encore plus noire de la réalité baignée de fantastique. Cuba Libre ne déroge pas à la règle. Le paradis socialiste (et touristique) des Caraïbes devient sous la plume de Nick Stone un enfer sans doute plus proche de la réalité quotidienne des Cubains en même temps qu’un drôle de voyage dans une autre dimension où la manipulation le dispute à la paranoïa. Tout ici n’est qu’un vaste décor de carton pâte dissimulant d’autres décors tout aussi factices et, naviguant au milieu de cet univers de faux-semblant, Max Mingus tente d’extraire un soupçon de vérité et de réel avec, malgré la vieillesse qui le guette, la détermination d’un taureau fonçant vers la muleta.
Car, on le sent bien, quelqu’un agite le chiffon rouge devant Mingus et le manipule par personnes interposées. Joue avec cette formidable capacité d’autodestruction compensée par une envie désespérée de vivre qui le caractérise. Reste à savoir qui et pourquoi.
Les lecteurs des deux précédents volumes soupçonneront bien sûr un personnage en particulier même s’il demeure invisible. Le talent de Nick Stone tient pour beaucoup à cette manière qu’il a de faire planer une ombre inquiétante sur son roman, à tresser une intrigue retorse, certes, mais qui n’est que le canevas sur lequel il vient coudre quelques points, ici ou là, qui éveillent l’attention et la tension chez le lecteur qui pressent constamment qu’un drame va avoir lieu. De fait, il a parfois lieu. Et d’autre fois pas.
Cette maîtrise dans la structure du roman, cette facilité avec laquelle Stone déroule son histoire et y accroche le lecteur jusqu’à un dénouement aussi inattendu que prévisible (hé, oui ! Et même parfois un peu aidé par d’heureuses coïncidences que l’on pardonnera à l’auteur) font qu’il a réussi à s’imposer en l’espace de trois romans comme un auteur incontournable dans le genre noir. Et l’on attend déjà avec impatience de voir comment, après cette trilogie réussie, il va rebondir et, on l’espère, nous surprendre avec ses nouveaux écrits.
Nick Stone, Cuba Libre (Voodoo Eyes, 2011), Gallimard, Série Noire, 2013. Traduit par Samuel Todd.
Du même auteur sur ce blog : Tonton Clarinette ; Voodoo Land.