Des mille et une façons de quitter la Moldavie, de Vladimir Lortchenkov
Il y quelques temps de cela, une connaissance qui avait été en Moldavie me disait à propos de la situation de ce pays : « C’est bien simple, en Moldavie, les gens rêvent d’émigrer en Roumanie ». De fait, devenu depuis l’effondrement du boc soviétique un des pays les plus pauvres d’Europe et une des plaques tournantes des trafics d’armes, d’êtres humains et d’organes, la Moldavie est aujourd’hui une terre d’émigration (un quart de la population, soit un million de moldaves, travailleraient à l’étranger).
Les habitants de Larga, le village que présente Vladimir Lortchenkov dans son roman rêvent quant à eux d’Italie. Après une première déconvenue qui ouvre le bal avec un sens aigu du comique de situation, Lortchenkov embraye sur toute une série d’anecdotes dans lesquelles l’humour noir se fait la part belle. Ainsi en va-t-il de la pauvre Maria qui a dépensé tout l’argent du foyer dans une tentative avortée de passer en Italie et qui annonce à son époux qu’elle va se suicider. Après que son mari lui a déconseillé de se pendre au noyer (il faudrait éviter de briser une branche susceptible de donner beaucoup de fruits) elle jette son dévolu sur l’acacia :
« Connaissant le cœur charitable de son époux, Maria se dirigea vers l’arbre en question, y fixa une corde et grimpa sur le tabouret qu’elle avait placé sous le nœud coulant. Elle ne distingua toutefois aucun regard en provenance de la maison. « Il s’est planqué derrière la porte », se dit-elle avant de remarquer que des gens l’observaient depuis les fermes voisines. Il y aurait donc quelqu’un pour la décrocher… Rassérénée par cette pensée, elle sauta. Son corps se balança, d’abord poussé par son élan. Puis par le vent.
Maria continua de tanguer dans l’acacia pendant toute la semaine suivante. »
Si, pour reprendre l’axiome consacré, l’humour est la politesse du désespoir, Lortchenkov nous décrit là un peuple aussi poli que désespéré à travers des histoires tour à tour hilarantes et poétiques allant de l’entrainement artisanal au curling dans le but d’obtenir un visa collectif d’équipe sportive, à la fabrication de sous-marin à partir d’un tracteur en passant par d’étonnants raisonnements de sophistes hérités de l’ère soviétique… ainsi voit-on un trolleybus construit dans Larga avec les subventions du Parti justement parce que son inutilité fait qu’il ne profitera à personne et que, donc, l’égalité des citoyens en sera préservée.
Président moldave privé de voyages internationaux car ses homologues étrangers craignent qu’il ne profite de l’une de ces rencontres au sommet pour immigrer clandestinement dans leurs pays, négociations sur le prix du rein humain et tentative de greffe artisanale – oui, tout est artisanal ici – entre le cochon et l’humain, règlements de comptes à retardement… on assiste, tour à tour sidéré et amusé à une enthousiasmante farandole d’idées folles desquelles transpirent la poésie et le désespoir, certes, mais aussi un indéniable optimisme chez les plus fous des personnages, de ceux qui pensent que oui, on peut faire voler un tracteur pour se faire la malle.
Et si la fin ne tient pas forcément les promesses du début, un peu comme si Vladimir Lortchenkov, emporté par son élan et les multiples anecdotes qu’il voulait raconter, avait oublié qu’il lui faudrait à un moment ou un autre conclure l’ouvrage, il n’en demeure pas moins que Des mille et une façons de quitter la Moldavie, vaut que l’on s’y arrête. Pour son humour et sa poésie, aussi piquants et absurdes l'un que l'autre.
Vladimir Lortchenkov, Des milles et une façons de quitter la Moldavie (Vse tam buden, 2008), Mirobole Éditions, 2014. Traduit par Raphaëlle Pache.
Du même auteur sur ce blog : Camp de gitans ;