Deep Winter, de Samuel W. Gailey
Wyalusing est une petite ville perdue de Pennsylvanie. C’est là que vit Danny, attardé depuis un tragique accident qui a vu ses parents mourir alors qu’il était encore enfant. Dans cette petite communauté rurale, Danny est l’idiot du village, brave colosse désarmant de gentillesse mais moqué par la plupart des habitants. Une des seules personnes à le traiter correctement est Mindy, la serveuse du dinner qui partage avec lui sa date d’anniversaire. Justement, c’est le jour de son anniversaire que Danny décide de rejoindre Mindy pour lui offrir un cadeau. Et c’est là qu’il va tomber sur Sokowski, l’adjoint du shérif, veule et cruel, qui vient de tuer Mindy et qui voit en Danny un parfait coupable. En cette nuit d’hiver, entraîné dans un engrenage de violence, Danny va tenter d’échapper à ceux qui voudraient le voir mort et de prouver son innocence.
Deep Winter, c’est incontestable, est un roman mené avec efficacité. Du genre que l’on peine à lâcher tant on désire voir quelle tournure vont prendre les événements et si le héros va réussir, malgré ses moyens limités, à s’en sortir alors qu’il est devenu pour une grande partie de la communauté l’homme à abattre. C’est avec un sens consommé du cliffhanger de fin de chapitre et une écriture que l’on qualifiera d’efficace – faute d’être remarquable – que Samuel Gailey, qui a fait ses armes au cinéma et à la télévision, fait avancer son intrigue.
Pour autant, la maîtrise de ses outils ne fait pas forcément un roman qui sort du lot et Deep Winter en est la preuve. Cela tient sans doute à la manière dont Gailey convoque ici tous les archétypes du roman ou de la série estampillé « Amérique profonde ». On voit donc consécutivement apparaître l’idiot du village impressionnant physiquement mais aussi vif d’esprit – et gentil – qu’un chiot labrador, la serveuse rugueuse mais jolie et au grand cœur, le vieux shérif qui n’aspire qu’à la tranquillité et voudrait pouvoir ménager la chèvre et le chou, le couple de vieillards attendrissants qui prennent soin de l’orphelin attardé, le flic de la ville sympa mais alcoolique qui débarque comme un chien dans un jeu de quilles et, bien entendu, l’adjoint du shérif méchant comme une teigne et son acolyte qui pourrait avoir bon fond mais qui a toujours été un suiveur.
Le problème de Deep Winter tient d’abord à cette accumulation de clichés. Et ce ne sont pas les vagues références obligées au passé des personnages censées les rendre plus complexes mais qui se révèlent être tout aussi caricaturales (le shérif regrette de n’avoir jamais donné un enfant à sa femme, l’adjoint a trouvé le cadavre de son père après son suicide, son larbin est un petit gros qui a suivi les durs et méchants pour ne pas devenir une victime…) qui viennent contrecarrer cette impression.
Vient ensuite ce qui est certainement le plus dérangeant même si, dans une certaine mesure, pour peu que le lecteur ne soit pas une brute sans cœur, cela se révèle efficace : la manière qu’a Gailey de tirer au maximum sur la corde sensible en faisant subir à son héros les pires avanies sans que jamais ce dernier ne se dépare de cette gentillesse qu’il porte chevillée au corps. Danny donc, cela est dit, redit et montré, est une éternelle victime, un cœur pur sur lequel la vie et les habitants de son patelin s’acharnent sans pitié jusqu’à cet ultime violence qui lui est faite lorsqu’on l’accuse d’avoir assassiné sa seule amie.
Car, au final, la seule chose qui pousse le lecteur à continuer à lire le roman est l’espoir de voir enfin justice rendue, même si pour cela l’auteur va devoir effectuer quelques acrobaties tel cet artifice qui consiste à permettre à Danny, éternel piéton confit dans ses habitudes et qui ne sort jamais du village, à trouver son chemin dans une forêt inhospitalière grâce à une petite voix – peut-être celle de son père décédé, peut-être une manifestation de son subconscient – qui lui indique le chemin.
Bref, Deep Winter, s’il se laisse lire sans déplaisir grâce au savoir-faire scénaristique de son auteur, souffre aussi par ailleurs de ce savoir-faire qui vient trop souvent se substituer à ce qui devrait être l’essence d’un bon roman : un véritable attachement de l’auteur à ces personnages qui lui permette de faire passer avec délicatesse des sentiments complexes. C’est bien dommage.
Samuel W. Gailey, Deep Winter (Deep Winter, 2014), Gallmeister, 2014. Traduit par Laura Derajinski.
Du même auteur sur ce blog : Une question de temps ;