Une question de temps, de Samuel W. Gailey
Alice, 21 ans, erre de ville en ville depuis qu’elle a fugué cinq ans plus tôt, tenaillée par la culpabilité après un tragique accident. Alors qu’elle occupe depuis quelques temps un emploi de barmaid qui lui permet non seulement d’avoir un revenu régulier mais aussi de satisfaire son addiction à l’alcool, elle se réveille un matin dans un mobil-home inconnu avec une gueule de bois carabinée. À ses côtés, un homme mort. Pas très loin, un sac contenant de la drogue et cent mille dollars. Après avoir appelé la police, elle a tout juste le temps de s’envoyer quelques verres pour assimiler la situation que l’on frappe à la porte. Deux sales types sont là pour récupérer le sac et ont l’air de ne pas vouloir laisser de témoin derrière eux. Pas de chance, les flics arrivent. Fusillade. Truands et policiers s’entretuent et Alice se retrouve avec son magot et le sentiment qu’elle ferait mieux de décamper avant que quelqu’un d’autre arrive. Elle a bien raison.
Comme le dit assez explicitement son titre français, Une question de temps est une course contre la montre et contre la mort. Car Alice a à ses trousses un duo pour le moins inquiétant et sacrément déterminé à retrouver l’argent contenu dans le sac. Un peu plus de trois ans après Deep Winter, Samuel W. Gailey revient donc avec un nouveau roman de poursuite. Même recette – un personnage marginal mais foncièrement bon traqué par des méchants très méchants –, même savoir-faire qui permet de ne jamais faire baisser le rythme de l’action… et mêmes écueils.
Car là encore, le lecteur peine à ignorer la grille d’écriture sur laquelle se base Gailey et qui a une fâcheuse tendance à ressortir. L’impression de voir un manuel du bon roman haletant est constamment présente. Il faut un personnage torturé, un peu borderline, mais sympathique. Il faut un vieil homme un peu marginal pour l’aider. Il faut un méchant sadique avec un handicap – physique ou social – qui permet d’éprouver malgré tout un peu d’empathie à son égard à certains moments. Il faut une scène poignante avec un enfant. Il faut qu’un salopard reçoive une correction pour montrer que le personnage principal est fragile, certes, mais pas du genre à se laisser marcher sur les pieds ou à accepter l’injustice… Tout est là et s’enchaîne sans temps mort mais avec l’impression tenace que cela manque terriblement d’âme et que, sous une complexité – qui est plutôt en fait, une avalanche de détails – de surface ne se trouve qu’un assemblage de mécanismes censés faire tourner la machine. Censés, dis-je, car, de fait, le lecteur attentif ne peut que tiquer régulièrement face aux incohérences du récit ou à la manière dont l’auteur abuse des coups du hasard qui lui permettent de faire avancer son action : les poursuivants trouvent toujours un indice minuscule qui les remet sur la bonne voie, Alice est une alcoolique au dernier degré mais pète assez la forme pour fracasser n’importe qui, les scènes de confrontation physique sont souvent incroyables et l’on est aussi en droit de s’interroger sur la temporalité de l’action (tout va vraiment trop vite).
Roman sans grande originalité, Une question de temps, comme son prédécesseur, s’il n’est pas foncièrement désagréable à lire est sans saveur et donc tout à fait dispensable.
Samuel W. Gailey, Une question de temps (Absolution, 2017), Gallmeister, 2018. Traduit par Laura Derajinski. 328 p.
Du même auteur sur ce blog : Deep Winter ;