Elmet, de Fiona Mozley
Daniel vit avec sa sœur aînée, Cathy, et leur père, John, dans un bois du Yorkshire. Sur ce terrain qui appartenait à leur mère, ils ont construit une maison de leurs propres mains et vivent à l’écart de la plupart des autres habitants des lieux. Initiés par leur père à cette vie en autosuffisance, les deux adolescents courent les bois, chassent un peu, jouent… Le peu d’argent qui entre provient de l’activité de John. Il donne quelques coups de main aux fermiers du coin et, surtout, il revient parfois à ses premières amours : les combats de boxe clandestins à main nues, un milieu dans lequel ce colosse imbattable est une véritable légende. Cette vie dans laquelle, malgré sa rudesse, ils ont trouvé un certain équilibre pourrait durer, mais c’est sans compter sur le propriétaire des terres sur lesquelles ils sont installés qui, par ailleurs, possède une grande partie des fermes et villages voisins et, donc la plupart des habitants. Price, c’est son nom, voudrait que John devienne ou plutôt redevienne son homme de main. Le refus de ce dernier provoque la fureur de Price. Et John, alors, avec l’aide d’un ancien mineur syndicaliste, entreprend de lever contre Price tous ceux que ce dernier tient sous sa coupe.
On pourrait sans doute reprocher un certain nombre de choses à Fiona Mozley. D’abord de forcer un peu sur le côté seuls contre tous au point de frôler la caricature dans le pathos. Ensuite de proposer une fin assez attendue. Et puis aussi de dire que les lièvres ont un terrier. On pourrait, mais on ne va pas le faire. Parce que si tout cela est vrai, Fiona Mozley arrive malgré tout à nous embarquer.
Cela tient d’abord à une écriture qui, comme le dit pour une fois justement une quatrième de couverture, fait preuve d’un « lyrisme discret ». On n’y trouve pas de grandes envolées mais, de fait une beauté en retenu, des mots justes et comptés. Grâce à cela Fiona Mozley nous entraîne dans une histoire qui, pour être ancrée dans une réalité crue et identifiable – on est bel et bien dans le Yorkshire, de nos jours – nous transporte néanmoins dans une atmosphère presqu’onirique. On oscille ainsi du conte à la réalité la plus crue et l’un et l’autre installent une tension constante qui mène à un dénouement aussi violent que, donc, attendu. Bref, on se trouve dans cette étrange situation : on voit ou on anticipe certaines ficelles, mais on s’y laisse prendre avec plaisir. Parce que malgré tout, les personnages nous touchent, et parce que, sous les caractères attendus, que ce soit du côté des bons comme des méchants, Fiona Mozley sait mettre juste assez d’ambigüité pour éviter d’en faire seulement des archétypes. Une belle réussite, donc et une très agréable lecture.
Fiona Mozley, Elmet (Elmet, 2017), Joëlle Losfeld, 2020. Traduit par Laetitia Devaux. 239 p.