Donbass, de Benoît Vitkine
Pas besoin de faire un dessin, le titre est assez explicite. On est dans le Donbass, cette région de l’Ukraine où, depuis 2014 et en réaction au mouvement pro-européen de Maïdan, des groupes séparatistes pro-russes, avec le soutien de la Russie sont entrés en insurrection, déclenchant un conflit toujours pas réglé aujourd’hui et qui a pour partie été éclipsé par la crise de Crimée. C’est là que l’on retrouve le colonel de police Henrik Kavadze, affecté à Avdiïka, ville encore sous autorité ukrainienne située non loin de la ligne de front. Alors que les forces de police, supplantées par l’armée, n’ont plus que des attributions limitées, Kavadze hérite pourtant d’une véritable affaire, le meurtre d’un enfant retrouvé poignardé. Pour mener à bien son enquête, Kavadze va devoir faire preuve d’opiniâtreté, naviguer entre les différentes autorités qui se font concurrence du côté ukrainien, entre les deux camps en guerre et aussi se confronter à son propre passé de soldat soviétique en Afghanistan.
Journaliste au Monde, lauréat en 2019 du prix Albert-Londres pour six enquêtes portant notamment sur la crise ukrainienne, Benoît Vitkine sait de quoi il parle. C’est peut-être là, paradoxalement, la limite de son par ailleurs très bon roman : le journaliste l’emporte peut-être trop parfois sur le romancier. Ainsi l’intrigue qui sert de colonne vertébrale au livre est assez lâche et parfois confuse. Elle ne semble exister que pour permettre de parler du Donbass et, surtout, de ceux qui y vivent. Mais, disons-le, c’est bien cela, en fait, qui confère toute sa valeur à ce roman.
À travers le personnage d’Henrik Kavadze, vétéran d’Afghanistan, policier cynique et désabusé, et ses pérégrinations, Benoît Vitkine parle de la guerre et de ce qu’elle fait à ceux qui la vivent, soldats (ou miliciens) comme civils. On évite en règle générale le cours de géopolitique pour aller à la rencontre d’une population écrasée par le conflit et qui parfois aussi, s’il elle ne se réalise pas à travers lui, s’y est du moins accoutumée au point de n’envisager qu’avec circonspection voire appréhension pouvoir en sortir. On trouve ainsi de très belles pages sur la façon dont la guerre modèle les gens et, d’une certaine manière, donne plus d’intensité à la vie. L’empathie avec laquelle il traite ses personnages, sans manichéisme, lui permet par ailleurs de rendre leurs motivations et, partant, son histoire, plus complexes. Et c’est avec une certaine fascination que l’on s’attache aux pas de Kavadze et que, peu à peu, on découvre les blessures intimes qu’il charrie avec lui. Là encore, Benoît Vitkine offre de formidables passages comme la traversée hallucinatoire d’un champ de mines à la suite d’un troupeau de vaches.
Avec ses quelques défauts et ses grandes qualités, Donbass est un premier roman remarquable par bien des aspects. Prenant et instructif sans être lénifiant, il vient par ailleurs nous parler de lieux et de gens que, d’une manière générale, on connaît peu ici sans céder à un pseudo exotisme ou à un romantisme au petit pied. Une lecture qui vaut le détour.
Benoît Vitkine, Donbass, Equinox, Les Arènes, 288 p.
Du même auteur sur ce blog : Les Loups ;