Les Loups, de Benoît Vitkine
Olena Hapko, présidente tout juste élue à la tête de l’Ukraine, prépare son investiture. Mais les loups rôdent. Les Russes, bien entendu, mais aussi les oligarques que cette élection fragilise d’autant plus qu’Olena Hapko, celle qu’on appelle la Chienne, est l’une d’entre eux. Après une ascension fondée sur la violence, la voilà potentiellement maître des ressources du pays et de leur distribution. Surtout, il semblerait qu’elle ait aussi quelques velléités de modernisation de l’État. Mais durant le mois qui sépare l’élection de l’investiture, bien des choses peuvent se passer, on s’agite en sous-main, on menace et on essaie d’exhumer le passé.
Après le très bon Donbass, Benoît Vitkine nous ramène donc en Ukraine, mais là où le précédent livre était centré presqu’exclusivement sur la manière dont vivait le peuple confronté à la guerre, il nous donne dans Les Loups un autre angle de vue ou, plutôt, d’autres angles. Olena Hapko, la caste des oligarques et les manœuvres du pouvoir russe d’un côté, une petite ville, Gouliaï-Polie, aux confins du pays, de l’autre. Et, pour relier tout ça, Semion Grandes-Mains, ancien exécuteur des basses œuvres d’Olena, vieux bandit retiré des affaires qui reprend là du service pour protéger la future présidente. Avec lui et Marko, adolescent porté par un idéalisme romantique et le souvenir de la geste de Nestor Makhno, le passé d’Olena se dévoile et elle avec lui.
On avait pu reprocher ici même à Benoît Vitkine, dans son premier roman, de parfois faire primer son expérience de journaliste sur l’intrigue. La construction des Loups, en quelque sorte plus linéaire, plus ramassée malgré les allers-retours entre les lieux et les époques, permet de resserrer l’intrigue. Pour autant, celle-ci n’empêche pas l’auteur de montrer ce qu’est l’Ukraine d’aujourd’hui avec son expérience de ce terrain. Au contraire même, elle vient efficacement renforcer ce propos tout en produisant un pur roman noir politique extrêmement bien rythmé. Et tout cela est d’autant plus plaisant que, comme dans Donbass, les personnages principaux sont intelligemment construits, avec un véritable sens de la nuance. Bons ou mauvais selon la manière dont les regarde, ils obéissent à des motivations, à des ressorts, complexes : ils sont profondément humains et il n’est pas donné à tous les auteurs de donner ainsi autant de chair à leurs personnages.
Voilà donc un roman qui réussit à parfaitement allier l’intelligence et le divertissement. Sans doute l’un des romans noirs de 2022.
Benoît Vitkine, Les Loups, Equinox Les Arènes, 2022. 317 p.
Du même auteur sur ce blog : Donbass ;