Stoneburner, de William Gay
Jackson, Tennessee, 1974. Avec ses lunettes en cul de bouteille et un sévère penchant pour l’alcool, Sandy Thibodeaux, jeune vétéran du Vietnam, roule au hasard dans son pick-up, traîne à droite et à gauche, et écume les bars. Jusqu’au jour où il croise la route de Cathy Meecham. Cathy est belle et elle le sait. Thibodeaux jette son dévolu sur elle au grand déplaisir de Cap Holder, ancien shérif devenu une espèce de baron local et qui s’est octroyé la jeune femme comme un trophée. Colosse prompt à user de violence, Cap n’entend pas laisser filer Cathy et Thibodeaux l’apprend à ses dépens. Mais quand il étouffe une mallette contenant 185 000 dollars à des trafiquants de cocaïne, ce dernier voit l’occasion de filer avec la fille, qui ne se fait d’ailleurs pas prier.
Dans cette première partie, William Gay met en scène la cavale de ce couple mal assorti. Amoureux fou, et fou tout court, Sandy Thibodeaux veut tracer sa route vers New York. Déterminée à quitter Jackson, Cathy se verrait plutôt filer vers Hollywood à bord de la Cadillac que Sandy vient d’acheter pour elle et dont le vendeur assure qu’elle a appartenu à Elvis. Sandy n’est qu’un moyen qui lui permet de fuir et de commencer une nouvelle vie. Thibodeaux est un salopard complètement paumé et Cathy une garce de première. Leur road-trip est une succession de mauvais choix, d’erreurs stupides, et de violentes disputes.
Dans une seconde partie, John Stoneburner fait son apparition. Devenu provisoirement détective après son retour du Vietnam, où il a servi avec Thibodeaux, il a fini lui aussi par échouer à Jackson avec l’idée de mener une vie tranquille en s’épuisant à bâtir une maison de ses mains en regardant couler le fleuve… C’est sans compter sur Cap Holder qui lui demande avec insistance de retrouver une mallette d’argent et Cathy Meecham.
Manuscrit exhumé de William Gay, Stoneburner change assez radicalement de ce que l’on connaissait jusqu’à présent de l’auteur mort en 2012. Roman noir animé par un véritable grain de folie qui passe autant par les personnages qu’une chronologie malmenée dans laquelle le lecteur avance un temps à l’aveugle, Stoneburner est un livre violent et âpre qui, s’il porte un regard bien pessimiste sur la nature humaine n’en est pas moins chargé d’un humour fracassant. Porté par des dialogues piquants, des situations qui oscillent entre le drame et la loufoquerie et certainement aussi un véritable attachement de l’auteur à ses personnages déglingués, il est de ces romans dans lesquels on plonge autant pour le plaisir de se faire raconter une histoire folle et violente que pour celui de se laisser porter par l’écriture de l’auteur. Comparé à Cormac McCarthy – Non ce pays n’est pas pour le vieil homme – Gay nous fait pour notre part penser ici à Crumley et aux errances de ses privés désespérés et cyniques. Il y a de pires références, mais comme souvent au jeu des comparaisons, il serait réducteur de s’en tenir là. William Gay, s’il rejoint par bien des aspects les thèmes ou obsessions de ses confrères, joue bien sa propre partition, et avec maestria qui plus est.
Fuyant un monde qui semble confit dans ses dérives tout en refusant par ailleurs le nouveau monde qui s’ouvre à eux et qui, malgré son agitation, leur paraît toujours bien fade, cherchant à combler le vide immense de leurs vies, les personnages de William Gay filent vers une destination inconnue. Ce sera, au bout du chemin, peut-être le fracas, ou bien juste une autre ligne de départ vers un ailleurs hasardeux. En attendant, le voyage sera des plus fascinants.
William Gay, Stoneburner (Stoneburner, 2017), Gallimard, La Noire, 2019. Traduit par Jean-Paul Gratias. 380 p.
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