La mort au crépuscule, de William Gay

Publié le par Yan

lamortaucrepuscule.jpg« Il regarda sa montre. C’était l’heure de sa pause café du matin. Il se dit qu’aujourd’hui il irait le boire au Richepanse, et ce fut dans cette direction qu’il partit sans se presser. Les gens qu’il rencontrait le saluaient avec cérémonie. Parfois s’il s’agissait de femmes qui lui plaisaient pour une raison ou une autre et dont il attendait le décès avec délectation, il portait la main à son Stetson et observait leurs yeux qui le fuyaient pour regarder ailleurs alors qu’elles pressaient le pas ».

Ce « il », c’est Fenton Breece, croque-mort d’une bourgade du Tennessee dans l’immédiat après-guerre. Or Fenton Breece aime un peu trop les morts, en particulier les mortes, et passe un peu trop de temps à s’amuser avec. Si tout le monde s’en doute, ce sont Kenneth et Corrie Tyler, deux orphelins au sortir de l’adolescence qui en découvrent la preuve. En voulant le faire chanter, ils poussent Breece à lancer à leurs trousses Granville Sutter, l’autre malade mental du patelin, un tueur psychopathe que rien ne semble pouvoir arrêter, et surtout pas la justice dans ce monde renfermé sur lui-même où tout se règle entre soi.

C’est donc une véritable chasse qui s’ouvre dans ce petit coin isolé du Tennessee, au cœur de la région tourmentée du Harrikin retournée à l’état sauvage depuis le passage d’un cyclone quelques décennies auparavant. Et c’est là que nous plonge William Gay, aux côtés d’un Kenneth qui s’enfonce dans cette forêt de conte médiéval où il croisera ermites, sorcières et fous de Dieu en tentant d’échapper à un Sutter, véritable incarnation du démon, monstre omnipotent qui le regarde s’égarer en attendant le moment propice pour fondre sur sa proie.

La réussite et peut-être, dans une certaine mesure, la limite de ce roman tient à la manière dont William Gay assume le fait de vouloir mener très clairement le lecteur aux frontières du conte fantastique. Tous les symboles sont là : un méchant particulièrement odieux mais faible (Fenton Breece) prêt à passer un pacte avec le Diable (Granville Sutter) pour se débarrasser de deux orphelins (presque) innocents, une forêt qui est autant un sanctuaire protecteur qu’un piège et qui se trouve littéralement hors du temps (il n’y a plus ici d’éléments matériels permettant de dater l’histoire et l’on peine à savoir combien de temps peut durer la fuite de Kenneth), des personnages secondaires destinées à subir les foudres du démon pour avoir aidé les fugitifs… Ce faisant, Gay crée une atmosphère paradoxalement pesante et légère. Car si la tension de la poursuite est bien présente, le lecteur sait toujours qu’il se situe dans un conte doublé d’un roman d’initiation et que, finalement, le héros ne peut que s’en sortir.

Si ce livre tire de son ambiance baroque et sombre une grande part de sa force, les personnages ne sont pas en reste, notamment, bien entendu, les méchants particulièrement bien campés dans une outrance là aussi assumée, et les habitants du Harrikin comme façonnés par le milieu dans lequel ils vivent. On regrettera toutefois que, en contrepoint, Kenneth paraisse si banal et transparent et que l’on peine tant à éprouver une véritable empathie à son égard.

En fin de compte, La mort au crépuscule, qui se situe quelque part entre Délivrance, La nuit du chasseur, Le Petit Chaperon Rouge et Massacre à la tronçonneuse, se révèle être un livre prenant, propre à captiver le lecteur qui recherche à la fois une belle écriture, des frissons, mais aussi à être rassuré. Cela entendu, sachant que l’ordre ne peut qu’être rétabli et que, à ce titre, Gay ne joue pas dans la même cour qu’un Joe Lansdale qui propose avec Les marécages une thématique proche au traitement plus fin et à la morale plus ambigüe, on passe un moment bien agréable sans se poser plus de questions que ça. Finalement, lorsque c’est aussi bien fait que c'est le cas ici, on n’en demande pas plus.

William Gay, La mort au crépuscule (Twilight, 2006), Éditions du Masque, 2010. Rééd. Folio Policier, 2012. Traduit par Jean-Paul Gratias.

On trouvera un avis moins enthousiaste chez Yann, de Moisson Noire, et un autre, qui l'est beaucoup plus, chez Jean-Marc, d'Actu du Noir.

Du même auteur sur ce blog : La demeure éternelle ; Stoneburner ;

Publié dans Noir américain

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J
D'accord avec tout.<br /> Et effectivement si on veut comparer avec Les marécages, celui-ci est un peu court. Mais si on compare aux marécages il ne reste plus grand chose à sauver non plus !
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Y
<br /> <br /> C'est sûr! Ceci dit, et malgré mes quelques petites réserves, je trouve que c'est un plutôt beau livre dans l'ensemble, très agréable à lire. J'ai vu sur le forum Pol'art Noir que le deuxième<br /> roman de Gay paraîtra au Seuil en fin d'année et je le lirai avec plaisir.<br /> <br /> <br /> <br />